Kronstadt 1921 : Soviets libres contre dictature de parti
La révolte en 1921 de la garnison et des ouvriers de l'île de Kronstadt, près de Petrograd, a immédiatement été présentée par le régime soviétique comme l'action de contre-révolutionnaires téléguidés, selon les cas, par les Russes blancs ou les mencheviks. L'origine, les motivations, les revendications, les formes prises par ce mouvement, ainsi que la répression féroce qu'il a subie furent inévitablement ensevelies sous les torrents de la propagande.
Quand Trotski devint un dénonciateur de premier plan du régime soviétique, lui-même et ses partisans n'en continuèrent pas moins à relayer cette même propagande. En France, même si des militants anarchistes avaient signalé les événements de Cronstadt, il faudra attendre 1949 et la publication chez Spartacus de La commune de Cronstadt d'Ida Mett pour mieux connaître le contenu et le déroulement du soulèvement. Si c'est en 1972, déjà, qu'Alexandre Skirda a publié son premier ouvrage sur Kronstadt, les contacts qu'il a pu nouer dans les années suivantes et les documents jusqu'alors tenus secrets rendus publiques en Russie auxquels il a pu accéder lui ont permis d'enrichir considérablement le récit et l'analyse des événements. Il s'appuie notamment sur des témoignages de première main, en particulier celui du commandant provisoire de Kronstadt ; on trouvera aussi dans ce livre des photos inédites des insurgés.
Février 1921 : alors que le régime bolchevik sort vainqueur de la guerre civile qui s'achève et à laquelle va succéder une effroyable famine, il doit faire face au mécontentement de la population ouvrière et paysanne, plongée dans le plus grand dénuement et privée de toute liberté d'expression et d'association. C'est pour soutenir les ouvriers de Petrograd, qui se sont mis en grève tout au long de ce mois de février pour protester contre la pénurie extrême à laquelle ils doivent faire face, que les marins, les soldats et les ouvriers de l'île de Kronstadt se sont réunis et ont dressé une liste de revendications.
Au premier rang de celles-ci, ils placent le rétablissement des libertés fondamentales pourtant inscrites dans la constitution de 1918 : les droits d'expression, d'association, de réunion ; le vote à bulletin secret ; l'élection dans ces conditions de nouveaux soviets ; les libertés de changer d'emploi et de se déplacer ; la fin des privilèges du parti bolchevik et la suppression de la police politique. Dans un article de leur journal, les insurgés donne le sens véritable qu'ils veulent donner à leur mouvement : « C'est ici, à Kronstadt, qu'est posée la première pierre de la IIIe révolution, celle qui brisera les dernières chaînes des masses laborieuses et ouvre une nouvelle et large voie pour l'édification socialiste...
Les ouvriers et les paysans doivent aller en avant, de manière irréversible, laissant derrière eux l'Assemblée constituante et son régime bourgeois, la dictature du parti communiste, des tchékas et du capitalisme d'État , qui étouffent le prolétariat et menacent de l'étrangler définitivement. » Alexandre Skirda ne fait pas que décrire cette éphémère tentative de rétablir la démocratie soviétique et la répression féroce qui s'abattra sur elle - « une nécessité tragique » écrira plus tard Trotski, cherchant à minimiser son rôle mais le justifiant toujours.
Faisant appel à des documents jusqu'ici inédits, il la replace dans la lignée des affrontements qui ont opposé depuis 1918 ouvriers et paysans au pouvoir léniniste et il retrace la façon dont les historiens, aussi bien soviétiques qu'occidentaux, ont rendu compte de cet épisode au plus haut point représentatif de la nature de ce pouvoir.