Juliana les regarde
Soit Juliana, dix ans, fille d'un ministre important et d'une maîtresse de maison alcoolique, qui fête aujourd'hui son anniversaire. Juliana raconte, dialogue avec un canard à l'oeil fluo, imite une voiture dans sa maison de trois étages, tente d'échapper aux chatouilles de son père et se fait traiter de garçon par sa mère, qui lui dit « de toute façon tu n'apprendras jamais rien ».
Mais Juliana rencontre Camila, à peine plus grande, capable de tout : boire des vodkas, s'envoler. Son premier amour, sa première fois, son exaltation et sa terreur. La haute société colombienne se consume entre les cordillères blanches et les verres de whisky, et personne ne prête attention à ces deux gamines qui se tiennent la main sur des cygnes en plastique dans la piscine - sauf peut-être un président libidineux qui ressemble à un mammouth.
À l'insu de ces adultes de cauchemar, tous les après-midis, les enfants découvrent les jeux érotiques et les terribles cruautés de l'amour en s'enfermant dans une chambre. La narration explose, minée par le désir et par la fièvre, tous les temps se mélangent et composent un précipité halluciné, couleurs, sons, petites bonnes, cygnes et canards, lumière et eaux dormantes, un vertige poétique entre la tendresse et l'horreur.
Rosero signe là un très grand roman, audacieux, splendidement écrit, tenu par une incroyable intensité. Il fait exister avec une étonnante facilité la voix d'une petite fille de dix ans, rebelle et contestataire : une conscience intérieure à vif qui déploie un monde saturé, terrifiant et beau, mais surtout incompréhensible.