Les masques de Saint-John Perse
"Et ceux qui l'auront vu passer diront : qui fut cet homme et quelle, sa demeure ? " Significativement posée au terme de l'ambitieux parcours proposé par les Oeuvres complètes, la question consacre la politique du mystère menée par un auteur qui a inlassablement multiplié les écrans entre son être social, le diplomate Alexis Leger, et son double littéraire, le hiératique Saint-John Perse, lauréat du Prix Nobel de littérature en 1960. Bien plus qu'un simple nom de plume, cette signature auctoriale inaugure un système figuratif complexe, une galerie de personnages qu'il s'agit ici, au plus près d'un texte souvent présumé hermétique, de mettre en lumière. De l'Enfant à l'Amant, de l'Exilé au Prince, du Songeur au Conquérant, les masques du poète disent une présence au monde singulière, sensible, transgressive et d'une exigence rare. Acte de naissance d'un mythe, celui de " l'homme au masque d'or ", ils lui offrent une condition d'existence ; une voix, un corps, des gestes, une éthique. Le masque ici ne travestit plus le faussaire, ne trahit plus le mystificateur, autant de malentendus dont ne s'est pas toujours exemptée la réception de l'ceuvre ; envisagé dans le plein champ de son évidence au poème il fait signe, révèle et fonde une unité, pour devenir ― autoportrait tout autant qu'autogenèse ― un poste d'observation particulièrement avancé de la fabrique de Saint-John Perse.