Cahier de Mïrka Lugosi
Une érotique, certes ! Un fétichisme aussi. Et nous pourrions même ajouter un grand accent surréaliste. Cependant, l’univers de Mïrka Lugosi semble toujours et déjà bien ailleurs, même s’il s’inscrit de fait dans une histoire. À cet égard, deux citations. La première, Pierre Jean Jouve : Nous avons connaissance à présent de milliers de mondes à l’intérieur du monde de l’homme, que toute l’œuvre de l’homme avait été de cacher... La seconde, Georges Bataille : Ce qui est en jeu dans l’érotisme est toujours une dissolution des formes constituées. Ces deux vues en appellent à l’idée d’une sorte de nuit profonde, voire menaçante, doublée d’une sorte de déréglement plus ou moins périlleux. À rebours, le cahier de Mïrka Lugosi semble échapper à ces coupures entre un dehors et un dedans, un monde diurne et un autre nocturne, entre une continuité et sa rupture. En effet, ce cahier se présente au premier abord comme studieux. On pourrait là penser à ces études de mains (genre Dürer, par exemple) où se trouvent répétées et reprises sur une feuille des mains tournées et retournées, quand Mïrka Lugosi étudie, elle, les tensions des verges, les galbes des jambes, la courbe ou le plein des seins, la plastique des corps. Il s’agirait en quelque sorte de donner à voir un toucher, un grain, une vision, une cambrure, une position. Et plus encore : la tension même de cette cambrure, le fantasque même de cette position. C’est pour quoi ce cahier ne dévoile pas un monde qui serait caché, parce que le monde de ce cahier échappe aux dispositions qui voudraient séparer l’apaisement et le trouble, le vil et le noble, alors qu’il n’y a pas ici (regardons bien !) plus habillé qu’un nu ou même plus nu qu’un habillé. Un cahier à l’onirisme déboussolé en ce que la suite de toutes ses scènes ne stagnent pas dans le crépusculaire du rêve, parce qu’elle accéde à la lucidité du plein éveil élaboré délicatement et patiemment à la pointe du crayon. Un cahier raffiné, subtil, élégant, diablement délicat et complexe, qui se voudrait comme une histoire de l’œil, ou comme l’histoire d’un œil, celui de Mïrka Lugosi, où le visible semble toujours précisément ce qui ne peut être que vu. Un cahier fondamentalement excentrique, tout compte fait (c’est-à-dire hors du centre, hors d’un centre qui n’aurait nul lieu d’être), et véritablement et magnifiquement obscène (c’est-à-dire hors de scène, hors de toute représentation). Comme si les dessins de Mïrka Lugosi ne représentaient rien, jamais, mais présentaient toujours, encore, tellement, et ne tenaient leur être que de ces seules présences.