Terrain lourd
« Terrain Lourd est un roman noir, mais c'est aussi un blues lancinant, celui des chagrins d'amour et des chagrins d'époque. On est au début des années 80 ou à la fin des années 70. On ne parle pas encore de TGV mais de turbotrain. Un reporter sportif assiste à Caen à un match de foot de deuxième division entre Caen et Thionville. Il s'appelle Vertaire. Assez logiquement, avec un nom comme ça, Vertaire souffre. Vertaire a 32 ans et est affligé d'une mélancolie tenace, une mélancolie lorraine bien obligée de jouer à l'extérieur.
Un autre, qui ressemble à Michel Piccoli dans ses rôles de patron, a pris à Vertaire la femme qu'il aimait. Alors Vertaire veut tuer l'autre. En même temps, Vertaire hésite. Pas par peur, par lassitude.
Vertaire a une arme avec lui, un 22 long rifle, «un calibre pourtant pas dramatique», dans son sac en skaï. Vertaire se regarde, regarde le monde. Il voit bien que les années 80 ne seront pas faites pour les Vertaire. Tout va un peu trop vite, sauf les trains. Les dernières utopies se noient dans les eaux glacées du calcul égoïste et de la côte d'Émeraude. C'est pour ça que Vertaire a toujours un peu froid bien qu'on soit seulement fin septembre.
Le lecteur ne sera pas étonné que Pierre Marcelle et Hervé Prudon aient écrit jadis un livre ensemble (Le Bourdon, 1981). Il y a chez eux une même qualité de tristesse, une même écriture désabusée des désastres intimes. Avec ce qu'il faut d'autodérision pour qu'on s'attache à des personnages qu'on a envie d'inviter à boire une bière dans le dernier bar encore ouvert de la sous-préfecture. À cette différence que dans Terrain Lourd, c'est du côté de Goodis que se promène Pierre Marcelle, un Goodis qui aurait troqué Philadelphie pour Saint-Malo... ». Jérôme Leroy.