Après l’amour
«Héloïse m'appelle «ma belle surprise». Elle a ses petits trucs, les balades à moto, un parfum addictif, des pièges à filles. Les cloches de l'église Saint-Eustache ponctuent toutes les heures nos étreintes. J'aime caresser la peau, son dos, ses bras durs, le sexe doux sous la langue, les soupirs, les sourires entre les baisers, les rires. Je l'adore et honore son sexe. Un souffle, une parole, un geste provoquent le rapprochement des corps. J'aime notre intimité. Je veux essayer toutes les positions, tous les rythmes. Après les orgasmes, elle se serre très fort contre moi, je suis perdue. M'abandonner serait une aventure, alors je glisse, indéterminée, ouverte à tous les possibles.»
Lorsque la narratrice se sépare de sa compagne Paola, sa vie bascule. Collectionnant les amantes, elle part à la recherche effrénée du plaisir. La rencontre avec Héloïse amorcerait-elle un tournant ? Mêlant brillamment romantisme et crudité, douceur et violence, Après l'amour est un roman sensuel et sexuel qui explore la fulgurance du désir féminin.
La presse en parle
Agnès Vannouvong évoque intimement ces nuits où les filles s'exhibent, cherchent la conquête, l'excès pour mieux plonger dans la mélancolie. Elle décrit les chairs moites, les frissons, les accessoires, les odeurs. Puis, c'est la solitude à nouveau, l'envie de s'installer, d'avoir un enfant inséminé, de ressembler à une famille. Frénétique, l'écriture se met au diapason de cette ronde séductrice, cette course à la jouissance...
Après l'amour dessine un paysage singulier, le décode, le pose à plat avec ses excès, son cynisme et ses sentiments. Une oeuvre rare et intime, une pulsion de vie, entre enfer et romantisme.
Christine Ferniot - Lire
Quel chemin n'avons-nous pas fait depuis que Marcel s'inquiétait des amours d'Albertine ! Le malheureux, c'est sur les réseaux sociaux qu'il lui faudrait maintenant pister son amie. La narratrice d'Après l'amour - appelons-la " Divine ", pseudo qu'elle s'est choisi sur le site de rencontres lesbiennes qu'elle hante, et nom de guerre qui rappelle Notre-Dame-des-Fleurs (Agnès Vannouvong est l'auteur d'un livre sur Jean Genet) -, Divine vient donc d'être lâchée par sa compagne après des années en ménage (elles s'étaient connues à la fac)...
Divine est à la recherche d'elle-même après Paola, dont elle reste nostalgique et jalouse, avec qui elle voudrait encore un enfant. " Prédatrice sexuelle ", " sex addict ", ses aventures la laissent de marbre et elle se retrouve seule pour pleurer son premier amour. " Le sexe n'y change rien " : c'est la leçon de toujours, numérique comme physique.
Antoine Compagnon - Le Monde
Extrait
Séparées
Ça se passe très vite. Paola me quitte. Je bascule hors d'une zone de sécurité. Je glisse et, déjà, je construis ma défaite. D'avance, je connais le prix de la séparation. L'absence de la peau, du rire, du parfum. Alors j'anticipe et accomplis les gestes de premiers secours. Vite, je me relève, je respire dans la vague, je me rassemble.
Tu claques la porte, tu me regardes comme si c'était la dernière fois. On ne se reverra que chez le notaire. Tu vends tout, dans une apnée convulsive. Tu m'informes par courrier électronique de ta stratégie d'évidement. Tu construis un espace vide où l'air se raréfie. Les meubles seront bientôt trop grands pour nos deux petits appartements de solitude. Ils disparaissent les uns après les autres et déposent sur le parquet une légère trace de poussière. C'est bien connu, la séparation fait fondre les graisses et appauvrit économiquement. Elle dépossède des biens acquis et déprogramme la mémoire affective. Elle laisse sur le carreau, avec une boule d'angoisse plantée bien droit, dans chaque muscle. Tu ne tergiverses pas. Je ne résiste pas. Je suis surprise par la force de ta détermination. Dans ce bras de fer sans corps et sans parole, le royaume de l'af-fect est banni. Il est un antidote à la douleur. Paola a l'élégance d'attendre la fin de ma thèse pour passer à l'action.
- Je te préviens, j'organise le pot de soutenance. Pour les courses, le ménage et le reste, tu te débrouilleras.
Elle avait tenu sa promesse. Malgré le titre de docteur es lettres qui m'avait coûté une vie de rat de bibliothèque, Paola m'avait quittée pour la bouchère du coin. Dix ans de moins au compteur. Le teint rougi par les chairs animales découpées au petit matin. Derrière les vitres réfrigérées, les doigts sont sanglés de bagues plaquées or. Je m'aperçois de leur liaison un dimanche. La jeune bouchère double le reçu de la carte bancaire d'un billet doux. J'intercepte le message, au milieu d'un nuage de carottes, oignons nouveaux, topinambours, roquette, magret de canard et bouchées à la reine. Le quartier entier se marre, dans la lumière âpre du matin sale. Je suis horrifiée. Dans la boucherie, boulevard Voltaire, les petites vieilles temporisent. Il faut que jeunesse se passe ! Les vieux rient et s'en vont finir leur ballon au bistrot. Je regarde Paola, rougeaude comme la bouchère aux joues rôties.
Paola part sans préavis. Me revient en tête la plaisanterie préférée de mon amie Maggie qui vit à Park Slope, l'extension américaine de Lesbos. Que font deux lesbiennes lorsqu'elles se rencontrent pour la seconde fois ? Silence interrogateur. Elles emménagent ensemble. Maggie m'avait rapporté cette blague à l'époque où je partageais sa maison à Brooklyn. Le week-end, on assistait aux matchs de base-ball des équipes féminines. On admirait les prouesses sportives de la Fem's team, Suprem Dyke ou TrannyPussy ball. Dans le public jappait une horde de chiens, au milieu de poussettes d'où sortaient les têtes de bébés inséminés nés sans drame et sans père.