Le Dernier Jour d'un Condamné
Victor Hugo nous fait entrer dans la tête d’un condamné à mort qui attend son exécution. On ignore qui il est, quel crime il a commis. Car l’auteur ne veut pas débattre mais montrer l’horreur et l’absurdité de la situation. Son texte a une telle puissance de suggestion que le lecteur, s’identifiant au narrateur, partage avec lui l’angoisse et les vaines espérances. Réquisitoire le plus véhément jamais prononcé contre la peine de mort, ce roman est aussi une admirable leçon d’écriture et d’humanité.
Extrait
Le bourreau, à vrai dire, avait eu grand’peur. Le jour où il avait entendu les faiseurs de lois parler humanité, philanthropie, progrès, il s’était cru perdu. Il s’était caché, le misérable, il s’était blotti sous sa guillotine, mal à l’aise au soleil de juillet comme un oiseau de nuit en plein jour, tâchant de se faire oublier, se bouchant les oreilles et n’osant souffler. On ne le voyait plus depuis six mois. Il ne donnait plus signe de vie. Peu à peu cependant il s’était rassuré dans ses ténèbres. Il avait écouté du côté des Chambres et n’avait plus entendu prononcer son nom. Plus de ces grands mots sonores dont il avait eu si grande frayeur. Plus de commentaires déclamatoires du Traité des Délits et des Peines. On s’occupait de toute autre chose, de quelque grave intérêt social, d’un chemin vicinal, d’une subvention pour l’Opéra-Comique, ou d’une saignée de cent mille francs sur un budget apoplectique de quinze cents millions. Personne ne songeait plus à lui, coupe-tête. Ce que voyant, l’homme se tranquillise, il met sa tête hors de son trou, et regarde de tous côtés ; il fait un pas, puis deux, comme je ne sais plus quelle souris de La Fontaine, puis il se hasarde à sortir tout à fait de dessous son échafaudage, puis il saute dessus, le raccommode, le restaure, le fourbit, le caresse, le fait jouer, le fait reluire, se remet à suifer la vieille mécanique rouillée que l’oisiveté détraquait ; tout à coup il se retourne, saisit au hasard par les cheveux dans la première prison venue un de ces infortunés qui comptaient sur la vie, le tire à lui, le dépouille, l’attache, le boucle, et voilà les exécutions qui recommencent.
Tout cela est affreux, mais c’est de l’histoire.