La dernière interview

Auteur : Eshkol Nevo
Editeur : Gallimard

Un écrivain israélien à succès qui ressemble étrangement à l’auteur a accepté de répondre aux questions d’internautes sur ses livres. Chaque interrogation l’amène à s’ouvrir sur le couple qu’il forme avec Dikla, à avouer ses relations compliquées avec ses enfants ou encore à partager ses angoisses pour son meilleur ami, Ari, atteint d’un cancer. Sa vie tombe en ruine et ce questionnaire lui permet d’en parcourir les méandres, tissant la toile de sa propre histoire, au sein de laquelle il va et vient dans le temps, laissant progressivement apparaître les instants décisifs.
Dans ce roman tout en finesse, le narrateur livre, avec humour, une analyse désabusée de ce qu’il est et de son incorrigible besoin de transformer la réalité en fictions. En nous plongeant dans le quotidien de cet écrivain, Eshkol Nevo met en lumière des moments ordinaires qui nous touchent en plein cœur.

Traduit de l'hébreu par Jean-Luc Allouche
24,00 €
Parution : Août 2020
480 pages
Collection: Du monde entier
ISBN : 978-2-0728-5520-7
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Extrait

Vous avez toujours voulu être écrivain ?
Non. Mais à un moment de mon adolescence, j’ai compris que mes fantasmes onanistes étaient plus élaborés que ceux de mes amis proches. Chez eux, c’était aussi fonctionnel qu’une photo d’identité. Chez moi, il y avait des obstacles, des conflits, des protagonistes plus complexes. Je devais croire à mes fantasmes pour qu’ils m’excitent. Aussi je les peaufinais dans le moindre détail. Je me souviens d’une certaine nuit dans la cave de Hagaï Carméli, à Ramot : quatre bons copains dormaient dans leurs sacs de couchage, et chacun décrivait son fantasme. Je fus le dernier à parler et, avant même que je finisse, tous s’étaient endormis sauf Ari qui, avant de remonter la glissière de son sac, avait lâché d’une voix ensommeillée : « Mon pote, j’ai l’impression qu’un jour tu seras écrivain. Mais tu dois d’abord apprendre à faire court. »
Qu’est-ce qui vous pousse à écrire ?
Notre professeur, Mme Meïra, nous avait demandé de tenir un journal pendant les vacances de la Pâque. J’ai emporté un cahier à Ras Burqa dans le Sinaï et, de temps à autre, je grimpais sur une butte et décrivais l’univers au-dessous et au-dessus des flots.
Plus tard, mes parents ont décidé de déménager de Jérusalem à Haïfa. J’ai alors rédigé quelques poèmes rebelles contre cet exil mais, comme c’est souvent le cas de la poésie contestataire, ce fut en pure perte.
Par la suite, en classe de terminale, on a organisé une représentation de fin d’année pendant laquelle Tali Leshem devait jouer de la flûte traversière. J’essayais de me trouver le plus souvent possible en sa compagnie afin qu’elle me remarque, mais je n’avais aucun talent – ni en musique, ni en poésie, ni en danse. Aussi, je me suis porté volontaire pour écrire les paroles des chansons du spectacle.
À l’armée, j’écrivais à Tali, persuadé que, si elle recevait une lettre tous les jours, elle ne me quitterait pas pour un autre qui bénéficierait de permissions plus fréquentes que moi.
Après mon service militaire, en voyage en Amérique latine, j’écrivais des lettres à Dikla. Parfois, je lui racontais des choses qui m’étaient arrivées, parfois j’inventais des choses qui n’étaient pas arrivées. Je remarquais que je prenais davantage de plaisir à inventer.
Dikla et moi, nous nous sommes séparés juste avant que je participe à mon premier atelier d’écriture, après ma licence, et chaque mot qui m’est venu alors, et peut-être depuis, n’était qu’une tentative de combler le vide énorme que son départ avait creusé en moi.
Au bout d’une année, Dikla et moi nous sommes remis ensemble.
Ensuite, j’ai fait quelques choix dans ma vie : le mariage, les enfants, le prêt hypothécaire sur la maison.
La vie s’engageait dans une voie trop étroite, et l’écriture était tout ce qui s’en échappait.
L’existence que je ne pouvais pas vivre, eh bien, je l’écrivais. Cela a fonctionné pendant quelques années, a compensé un peu mon vague à l’âme, mais alors Ari est tombé malade. Shira est partie en internat. Et Dikla a cessé d’être heureuse avec moi.
Une drôle d’époque s’ouvrait.
Je crois que cela s’appelle une « crise ». Je pensais qu’elle prendrait fin au bout de quelques mois, je me suis trompé.
Les gens autour de moi ne s’en aperçoivent pas, mais je sais que je coule. Et je sais que, désormais, j’écris pour me sauver.

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