Noyade
Joey, 8 ans, passe l'été dans un camp de vacances au milieu des bois. Le moniteur de natation, Alex Manson, s'est juré qu'à la fin du séjour, tous les garçons sauraient nager. Or Joey a peur de l'eau. La veille du départ, Alex l'abandonne sur un radeau au milieu du lac, le mettant au défi de rentrer tout seul à la nage. On ne le retrouvera jamais... Vingt ans après, Alex est devenu promoteur immobilier. Ses méthodes et sa morgue lui ont attiré de solides inimitiés, mais sa réussite est éclatante. Jusqu'au jour où ça dérape, ce qui aurait pu passer pour de mauvaises blagues tourne au cauchemar. Joey serait-il revenu pour se venger ?
Extrait
Imaginez ceci : sous le ciel étoilé, une nuit paisible d’août aussi douce et claire que la journée qui s’achève, comme la veille et comme le lendemain. Un vaste champ entouré de pins si serrés, si sombres qu’ils dissimulent l’ourlet entre le ciel et la terre. Bientôt, les enfants remettront dans leurs valises T-shirts et shorts, raquettes de tennis, gants de base-ball et sacs de linge sale puis rentreront chez eux dans l’État de New York, le Connecticut, le New Jersey, voire plus loin.
Les flammes éclairent les visages des garçons assis en cercle autour des feux de camp : les plus jeunes au milieu du pré, les plus âgés vers l’extérieur, à l’orée des arbres. Le dîner – brochettes de saucisses grillées, pommes de terre enveloppées d’aluminium cuites sous les braises, guimauves noircissant sur des brindilles – a pris fin. Les flammes, renonçant à leurs dernières lueurs, deviennent de fins tisons puis, en quelques minutes à peine, un tas de cendres, tandis que, marchant d’un groupe à l’autre, les moniteurs racontent la fameuse histoire qu’ils répètent d’année en année, d’un ton grave et révérencieux, comme s’il s’agissait d’un secret destiné à ne jamais être divulgué. Un conte qui, désormais, fait autant partie de la culture du camp que les chansons qu’ils entonnent sous le préau – des odes à la nature, à l’esprit d’équipe, au lac Echo et à la chaîne de collines. Les garçons fixent les ultimes flammèches, guettant les mots qui s’animent, ou fermant fort les paupières, comme s’ils souhaitaient être déjà rentrés chez eux, où rien de mauvais ne pourrait les atteindre.
— Une nuit, bien après l’extinction des feux, commence l’un des moniteurs, comme tous les sept ans depuis la fondation du camp Waukeelo en 1937, un habitant du coin, un certain John Otis, s’est introduit dans le camp en coupant à travers bois derrière les dortoirs et a enlevé un des plus jeunes garçons.
Le moniteur se tait, pour que ses paroles s’enracinent dans les esprits, avant de reprendre :
— En ville, les gens disaient que John Otis passait inaperçu, qu’il était un monsieur Tout-le-Monde, mais...
Il s’interrompt encore.
— ... qu’il avait les yeux d’un mort. Si jamais on croisait son regard, on restait pétrifié.
Un autre moniteur, qui déambule derrière son auditoire en faisant le même récit, le devance dans la chronologie des faits :
— ... c’est que les enfants de sept, huit ou neuf ans... Vous savez bien comment vous êtes, c’est si facile de vous enlever. Si facile de vous réduire au silence. Si facile de vous faire disparaître.