Dr B.

Auteur : Daniel Birnbaum
Editeur : Gallimard

Dans un grenier à Stockholm, Daniel Birnbaum trouve des documents ayant appartenu à son grand-père Immanuel qui dévoilent l’incroyable histoire de ce journaliste, connu par son nom de plume « Dr B », qui arrive en Suède comme réfugié au début de la Guerre. Fils du cantor de la synagogue de Königsberg, converti au protestantisme, condisciple de Walter Benjamin, il a fui le nazisme en 1933 pour être correspondant de journaux de langue allemande en Europe.
À l’automne 1939, la capitale suédoise est au centre de négociations diplomatiques intenses, et Immanuel est aspiré dans un monde de double jeu. D’un côté, il travaille pour la maison d’édition Fischer repliée à Stockholm, et aide des espions britanniques à diffuser de la propagande en Allemagne. Mais, d’un autre côté, dans une lettre rédigée à l’encre sympathique, il dévoile à de mystérieux correspondants allemands le plan anglais de faire sauter le port d’Öxelösund par lequel transite une partie du minerai de fer nécessaire aux industries de guerre allemandes. Cette action devait forcer la Suède neutre à entrer en guerre. La lettre est interceptée et Immanuel est arrêté par les autorités suédoises.
Dans Dr B., Daniel Birnbaum raconte ainsi sous forme romanesque ce qu’a vécu son grand-père en Suède à une période chaotique et éprouvante. Est-il un espion, un résistant, ou un journaliste manipulé ? Mais où commence la fiction ? Car le personnage principal du Joueur d’échecs de Stefan Zweig s’appelle lui aussi « Dr B ». Il ne s’agit sûrement pas d’une coïncidence.

Traduit du suédois par Olivier Gouchet
22,00 €
Parution : Février 2021
336 pages
ISBN : 978-2-0728-6648-7
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Extrait

Son visage ne montrait pas le moindre signe de rougeur. D’ailleurs, cela aurait été superflu, la honte qu’il portait était plus profonde que cela. Il était adossé au mur du couloir et sentait le froid du mortier contre l’arrière de sa tête. La lumière d’une ampoule qui pendait du plafond écaillé tombait sur son visage blême. C’était donc là que tout prenait fin.
Il aurait aimé se retirer à l’écart, pourtant, il restait dans le coin fortement éclairé, précisément là où le couloir est du premier étage de la maison d’arrêt de Kronoberg faisait un coude. De là on avait vue dans les deux directions. Il verrait tout de suite si les gardiens menaient un nouvel arrivant dans sa cellule ou poussaient le chariot bringuebalant avec la soupe. C’était aussi là que les détenus pouvaient se rencontrer brièvement, en se rendant à la lingerie, où l’on déposait les draps à l’aube pour les rechercher le soir venu.
Pourquoi ils le laissaient là, il ne le savait pas, les gardiens allaient et venaient, et lorsqu’ils passaient devant lui, c’était comme s’il était invisible. Et pourtant ce fut justement à ce coin que l’éditeur l’aperçut. Qu’il l’avait immédiatement reconnu était évident, lorsqu’il s’approcha dans le couloir, ses draps dans les bras.
Dans la lumière de l’ampoule, Immanuel vit que l’éditeur lui jetait un regard désapprobateur. Lui qui tout récemment avait été le nouveau rédacteur, le journaliste qui signait Dr B., le nouveau collaborateur dont tous avaient bientôt fait la connaissance et qu’ils appelaient Immanuel. À présent, l’avocat de la maison d’édition déconseillait fortement tout contact avec lui. Il s’était rendu coupable d’une manière qui devait être considérée comme impardonnable pour un émigrant juif. L’avocat avait clairement souligné ce côté impardonnable.
Il avait demandé qu’on l’aide à prendre contact avec son épouse et sa famille. C’était l’inquiétude pour elles qui lui avait permis de surmonter la paralysie de cette honte qui, autrement, le tenait dans un étau tel que tout mouvement paraissait impossible. Sa famille vivait dans une totale ignorance, une situation sans doute insupportable pour sa femme. Sa propre peur l’empêchait de dormir.
Gottfried Bermann Fischer ne s’était même pas arrêté. Il ne se retourna pas davantage lorsque Immanuel l’apostropha :
— Gottfried, écoute-moi.
Non, ce dont il s’était rendu coupable était de toute évidence impossible à pardonner. Et qu’allait-il advenir d’eux à présent, de sa famille, de celle de l’éditeur ? Qu’ils puissent éviter l’expulsion paraissait impossible. Stockholm les avait sauvés. Jusqu’alors, ils s’en étaient tirés, mais maintenant que restait-il ? Le monde était divisé. Il y avait les régions où les juifs ne pouvaient pas vivre. Et il y avait celles dans lesquelles ils ne pouvaient pas pénétrer.

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