L'anomalie

Auteur : Hervé Le Tellier
Editeur : Gallimard

10 mars 2021. Les 243 passagers d'un vol au départ de Paris, marqué par de violentes turbulences, atterrissent à New York. Parmi eux : Blake, tueur à gages ; Lucie et André, couple français au bord de la rupture ; Slimboy, chanteur nigérian homosexuel ; Joanna, avocate américaine ; ou encore Victor Miesel, écrivain sans succès, qui se donne la mort après avoir écrit en quelques jours un livre aussitôt propulsé en tête des ventes.
Trois mois plus tard, contre toute logique, un avion en tous points identique, avec à son bord le même équipage et les mêmes passagers, surgit dans le ciel au-dessus de New York. S'ensuivra une crise politique, médiatique et scientifique sans précédent, au coeur de laquelle chacun de ces personnages ou presque se retrouvera face à une autre version de lui-même.
Avec cette variation spirituelle et virtuose sur le thème du double, qui nous transporte des faubourgs de Lagos et de Mumbai à la Maison Blanche, Hervé Le Tellier signe son roman le plus ambitieux.

20,00 €
Parution : Février 2021
336 pages
Collection: Blanche
ISBN : 978-2-0728-9509-8
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Extrait

Tuer quelqu’un, ça compte pour rien. Faut observer, surveiller, réfléchir, beaucoup, et au moment où, creuser le vide. Voilà. Creuser le vide. Se débrouiller pour que l’univers rétrécisse, rétrécisse jusqu’à se condenser dans le canon du fusil ou la pointe du couteau. C’est tout. Ne pas se poser de questions, ne pas se laisser guider par la colère, choisir le protocole, agir avec méthode. Blake sait faire ça, et depuis tellement longtemps qu’il ne sait plus quand il a commencé à savoir. Après, le reste vient tout seul.
Blake fait sa vie de la mort des autres. S’il vous plaît, pas de leçon de morale. Si on veut discuter éthique, il est prêt à répondre statistiques. Parce que – et Blake s’excuse – lorsqu’un ministre de la Santé coupe dans le budget, qu’il supprime ici un scanner, là un médecin, là encore un service de réanimation, il se doute bien qu’il raccourcit de pas mal l’existence de milliers d’inconnus. Responsable, pas coupable, air connu. Blake, c’est le contraire. Et de toute façon, il n’a pas à se justifier, il s’en fout.
Tuer, ce n’est pas une vocation, c’est une disposition. Un état d’esprit si l’on préfère. Blake a onze ans et ne s’appelle pas Blake. Il est à côté de sa mère, dans la Peugeot, sur une départementale près de Bordeaux. On ne roule pas si vite, un chien traverse la route, la secousse les déporte à peine, la mère crie, freine, trop fort, le véhicule zigzague, le moteur cale. Reste dans la voiture, mon chéri, mon Dieu, reste bien dans la voiture. Blake n’obéit pas, il suit sa mère. C’est un colley au poil gris, le choc lui a défoncé le thorax, son sang s’écoule sur le bas-côté, mais il n’est pas mort, il geint, on dirait la plainte d’un bébé. La mère court en tous sens, paniquée, elle pose ses mains sur les yeux de Blake, elle balbutie des mots sans suite, elle veut appeler une ambulance, Mais maman, c’est un clebs, c’est juste un clebs. Le colley halète sur le bitume fissuré, son corps brisé tordu adopte un angle bizarre, il est agité de soubresauts qui vont en s’affaiblissant, il agonise sous les yeux de Blake, et Blake regarde avec curiosité la vie quitter l’animal. C’est fini. Le garçon mime un peu la tristesse, enfin, ce qu’il imagine être la tristesse, pour ne pas troubler sa mère, mais il ne ressent rien. La mère reste là, glacée, devant le petit cadavre, Blake s’impatiente, il la tire par la manche, Maman, allez, ça sert à rien de rester là, il est mort, là, on y va, je vais être en retard au foot.

Informations sur le livre