Un dimanche à Ville-d'Avray
« En réalité, sur certains points, Claire Marie me fait penser à ces canards qui ont l’air de glisser sur l’eau mais leurs pattes remuent sous la surface à toute allure. Il y a quelque chose en eux d’un trompe-l’œil. »
Un dimanche d’automne, deux soeurs se retrouvent à Villed’Avray. Sous le secret d’une vie sage, chacune porte en elle le besoin insatiable de romanesque, découvert enfant à la lecture de Jane Eyre. Encouragée par l’atmosphère trouble et immobile de la fin d’après-midi, Claire Marie se laisse aller aux confidences. Des années plus tôt, elle a vécu une histoire brève et tumultueuse avec un inconnu. Sa sœur découvre alors, stupéfaite, les errances entre les bois et les gares de banlieue, les rendez-vous cachés et les dangers frôlés…
Extrait
L’autre dimanche, je suis allée voir ma sœur.
Ma sœur habite à Ville-d’Avray. Elle habite une maison confortable avec Christian, son mari, et leur fille : un grand jardin, avec pelouses et plantations, dans un quartier résidentiel. Une de ces rues qui grimpent sur les collines près du parc de Saint-Cloud. Comme je vis dans le centre de Paris, nous nous voyons peu et je lui rends rarement visite. Luc dit : « C’est une expédition d’aller voir ta sœur. »
Mais ce n’est pas vrai, la distance n’est pas seule en cause. Je sais très bien qu’il y a des trains régulièrement pour Ville-d’Avray. La vérité est que Luc n’aime pas Ville-d’Avray et qu’il trouve ma sœur « ennuyeuse » ; il serait plus juste de dire qu’il s’en méfie. Son mari, Christian, est médecin dans un cabinet de groupe. Elle a enseigné un moment, comme moi, dans le secondaire, mais ne travaille plus. Elle s’occupe vaguement du cabinet. Il arrive qu’elle dépanne Christian au secrétariat, traite par téléphone un symptôme banal, ou oriente des patients inquiets vers l’hôpital, mais ce n’est pas ce qu’on appelle « travailler ». « Et personnellement, me dit Luc, les diagnostics de ta sœur ne m’inspireraient aucune confiance. Elle a toujours l’air d’être “ailleurs”. » « Ta sœur, dit Luc, n’a jamais eu les pieds sur terre. C’est de famille. »
Dans ces cas-là, en général, Luc et moi, nous nous disputons. Nous nous disputons chaque fois que nous parlons de nos familles réciproques.