Mdeilmm: Parole de taupe

Auteur : Hélène Cixous
Editeur : Gallimard

"C'était le dimanche 22 janvier 1854, il était neuf heures et demie du soir à Jersey. Et Hugo effleurait le sexe de Shakespeare.Ils se touchaient l'âme en français. Et ils se tutoyaient. Je lève les yeux. C'est un geste audacieux.Oh ! Tes yeux ! Tes yeux de roi en passion. Tu veux oui je veux. Nous voulons. La scène se passait entre nos âmes physiques.Déjà nos lèvres. Ne doutons pas. Nos âmes rient. Une vie serait-elle possible ainsi, parfois, peut-être plus forte que tout. La table s'agite.C'est mon frère sans doute qui nous voit. Shakespeare semble crispé.- “ Parle ! ” dit Hugo.- “ Mdeilmm. ”

19,00 €
Parution : Octobre 2022
176 pages
Collection: Blanche
ISBN : 978-2-0729-8904-9
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Extrait

La Phrase
J’étais seule avec Eve ma mère, au quatrième étage. On attendait le public pour la réunion. Je me récitai la Phrase. Je la prononcerais d’une voix claire, sans mettre de ton, d’un trait :
« Maman » — dirais-je, car c’était à elle ma mère que je devais l’adresser —
« Maman, j’ai commis un meurtre »
Une seule ligne mélodique, sept syllabes, chacune égale à l’autre, dite d’une voix étroite et nette, maman et meurtre ayant le même statut vocal, commis faisant office de fléau, aucun doute ne s’insinuerait, je me préparais à dire ça
Elle avait des souliers vernis rouges à talons hauts, fins. Cela ne convenait pas pour l’occasion, elle ne le savait pas. « Mets tes souliers plats », dis-je. — « Tout à l’heure, je met- trai mes baskets », dit-elle. Je ne dis pas la phrase, j’attendais.
J’avais dû appeler des connaissances en pleine nuit, cela m’avait échappé : je recevais des coups de fil, les gens dans le noir s’inquiétaient. Je ne répondais pas. Ce fut l’Espagne, ce furent les États-Unis, ce fut l’Allemagne. Je ne dis rien. Embarrassée. M’étais-je trahie, dans les profondeurs incontrôlables du rêve ? De vieilles habituées des réunions se présentaient. J’attendais que tout le monde soit là pour dire la Phrase. Il faut imaginer. Je me lève, je m’adresse à Eve, publiquement, et je dis — comme on fait un serment —
— Maman, j’ai commis un meurtre —
Pour quelque raison le mot commis était nécessaire. Meurtre ne pouvait être remplacé par assassinat.
Ce sera un coup. Tout aura changé à l’instant. Et ce sera l’épreuve générale. Qui restera encore avec moi après cet aveu ? On verra.

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