Le visage de nos colères

Auteur : Sophie Galabru
Editeur : Flammarion

Dans l’espace public et notre quotidien, la colère affiche de multiples visages. Systématiquement discréditée, au point d’être ridiculisée, elle ne cesse pourtant de gronder – et nous redoutons son tumulte. Que faire de nos colères ?
Quand on nous incite à cultiver une attitude docile et à étouffer nos colères, afin de nous rendre plus désirables, c’est au silence que l’on nous habitue, voire au renoncement. Mais pour nous défendre face aux agressions intimes et politiques, comme pour garantir notre liberté, pourquoi ne pas puiser dans ces colères créatrices, celles des artistes et des minorités en lutte pour leur liberté ? Ces colères sont en nous – encore faut-il apprendre à les habiter.
En disséquant cette émotion défendue, Sophie Galabru construit une philosophie émancipatrice et stimulante pour affronter l’intolérable, et propose un manifeste puissant : la colère, loin d’être destructrice ou haineuse, pourrait bien être la clé de notre vitalité.

19,00 €
Parution : Février 2022
296 pages
ISBN : 978-2-0802-5528-0
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Extrait

La colère m’a changée. Je ne parle pas de cet énervement contre la lenteur du monde, de l’irritation venue de ces exigences auxquelles je ne parviens pas à me hisser ou bien encore de ces agacements quotidiens, anonymes et communs. Ces ronronnements ne se hissent pas à l’intensité éclatante de la colère ni à ses effets salvateurs. Il se pourrait même que ces petits énervements nous empêchent d’accéder franchement à cette émotion initiale. Or, un jour, j’ai osé sentir ce refus d’adhérer à ce qui m’avait abîmée, j’ai éprouvé une détermination à repousser ce qui tenterait encore de m’amoindrir et, par là, je suis entrée en sympathie avec d’autres colères. Ce jour est peut-être arrivé à force de lassitude, d’efforts inopérants à demeurer contente malgré tout. Peut-être que des figures de résistance m’ont irréversiblement bouleversée, mais pourquoi à tel moment plutôt qu’à un autre ? Les raisons de nos renaissances ne nous appartiennent pas toujours.
En remontant de mes épreuves vécues à leurs causes injustes, en osant juger plutôt que subir, me fédérer à d’autres plutôt que de les observer, j’ai ressenti comme une cassure. Avec elle, ma tolérance un peu lâche, ma compréhension patiente de l’ennemi, mes représentations impuissantes ou bien encore mes affects tristes sont devenus impossibles. La colère admise, les blessures inconsolables sont devenues les sources d’une énergie vitale. Dès lors, je n’ai plus cessé d’écouter celle des autres et de vouloir les rejoindre dans l’énergie du refus et la production d’alternatives. J’ai mené depuis quelques années une enquête personnelle des paroles et des silences colériques, cherchant à traquer ces moments de rupture, à saisir l’image de ces visages et de ces gestes par où le temps se sépare entre le révolu et l’avenir.

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