Penser global
Nos connaissances sur l’humain, sur la vie, sur l’univers, sont en pleine expansion. Elles sont aussi séparées et dispersées. Comment les relier ? Comment affronter des problèmes qui sont tout à la fois complexes, fondamentaux, intellectuels et vitaux ? Comment nous situer dans l’aventure de la vie et dans celle de l’univers ?
La réponse d’Edgar Morin, avec ce livre, est lumineuse d’intelligence et accessible à tous.
L’auteur nous invite, à sa façon, à penser global, c’est-à-dire à considérer l’humanité dans sa nature « trinitaire », puisque chacun est à la fois un individu, un être social et une partie de l’espèce humaine.
L’humanité est emportée dans la course effrénée de la mondialisation : la réflexion d’Edgar Morin nous propose de scruter son avenir sans céder aux facilités de l’air du temps ni aux injonctions de l’actualité.
Extrait
Qu’est-ce que l’humain ?
Cette question qui intéresse chacun et tous n’est nullement traitée dans notre système d’enseignement, que ce soit dans le primaire, le secondaire ou le supérieur. Il y a bien une discipline qu’on appelle l’anthropologie, mais elle est limitée aux sociétés archaïques, dites « dépourvues d’écriture ».
Or ce beau mot «anthropologie» désignait au XIXe siècle la connaissance qui permet d’englober les différents savoirs concernant l’humain, y compris biologiques et physiques. Mais aujourd’hui, l’humain dans son unité et dans sa diversité est occulté, ignoré, oublié dans notre connaissance et notre enseignement. « L’homme » est un mot à la fois pertinent et insuffisant. Pourquoi est-il insuffisant ? Tout d’abord parce qu’il désigne l’individu en excluant la société. Ensuite parce qu’il a une connotation masculine, bien que le mot soit neutre, et, d’une certaine façon, il occulte le féminin.
C’est pourquoi je préfère me référer à l’« humain » plutôt qu’à l’« homme ».
La définition de l’humain est trinitaire
La première définition est trinitaire parce qu’elle comporte l’individu, mais aussi la société humaine et l’espèce biologique, ou plutôt l’espèce humaine. Si j’évoque cette trinité, c’est pour indiquer qu’il y a une relation indissoluble entre ces trois thèmes, parce qu’on ne peut pas dire que l’humain est à 33 % individu, à 33 % société, à 33 % biologie. Ce qu’on peut dire, c’est que l’humain est à 100 % individu, à 100 % social et à 100 % biologie. Pourquoi ? Parce que du point de vue social, il est certain qu’un être humain est un petit élément d’une société. Cette société en tant que tout est à l’intérieur de l’être humain dès sa naissance parce que la culture, le langage, les mœurs, les idées, s’introduisent dans l’esprit du petit humain durant son développement. Il est ainsi nourri de et par la société.
Cela n’est pas du tout une bizarrerie que le tout soit dans la partie si nous savons que chaque cellule de notre corps, par exemple de notre peau, contient la totalité du patrimoine génétique héréditaire. Bien entendu, c’est une partie seulement qui est exprimée, qui est actualisée dans cette cellule, mais le tout en tant que tout se trouve présent dans cette petite partie.
C’est ce qu’on peut appeler le principe hologrammatique. Dans une photographie, chaque point de l’image renvoie à un point de l’objet représenté, par exemple une voiture. Dans l’hologramme, chaque point contient pratiquement la totalité de l’objet. Non seulement la partie est dans le tout, mais le tout est dans la partie et c’est pour ça que l’on peut dire que tout en étant à 100 % individuel, l’être humain est aussi à 100 % social.
Il en est de même du point de vue de l’être biologique, parce qu’un individu humain est un moment, une petite partie incluse dans une espèce et dans un système de reproduction ininterrompu. Cette part d’un processus global contient en elle le tout : dans un cerveau existe la totalité des gènes, comme ils sont présents dans tout l’organisme. Nous retrouvons le même principe : non seulement on peut dire que nous sommes à 100 % individus, nous sommes aussi à 100 % membres de l’espèce humaine. La relation entre l’individuel, le social et le biologique ne s’arrête pas là.