Adrénaline
« Ce livre n’est pas l’évangile d’un dieu mais le journal d’un homme de quarante ans, qui fait le bilan de son passé et regarde droit dans les yeux l’avenir, comme si c’était l’adversaire, après tant d’autres, qu’il devait affronter. »
« Lorsque je suis sur le terrain, sentir qu’on m’ aime me gonfle à bloc. Mais la haine aussi m’apporte beaucoup. Quand on me fait chier, je passe à un niveau supérieur : je suis plus attentif, plus concentré, plus désireux de prouver quelque chose. Ceux qui me haïssent me rendent meilleur. C’est pour ça qu’un match de derby me donne une énergie incroyable, me remplit d’une adrénaline particulière qui me pousse à me dépasser. Mais aujourd’hui, j’ai nettement plus de sang-froid qu’autrefois, quand j’étais jeune.
C’est aussi que mes fils m’ont donné un calme et un rythme que je n’avais pas auparavant. Jusqu’à la naissance du premier, je rapportais à la maison le football et toute ma rage. Ensuite, ça a changé.
Une fois rentré chez moi, je regardais les enfants et j’oubliais tout. Ces deux-là, pour sûr qu’ils m’ont retourné. Ils sont entrés dans ma vie, et d’un coup le football a cessé d’être l’essentiel pour moi. La seule chose qui comptait, c’était qu’ils aillent bien. »
Zlatan Ibrahimovic n’a plus besoin de nous prouver sa force, ni de nous rappeler les grands succès sportifs qui ont fait de lui un champion unique au monde. Il a donc décidé de se mettre à nu, en toute franchise et honnêteté, pour nous raconter comment un dieu du ballon change et affronte les années à venir sans hypocrisie, avec la maturité et les doutes qu’il doit apprendre à accepter.
En équilibre permanent entre adrénaline et balance, son récit foisonne de confidences et d’anecdotes, où la peur trouve également sa place parmi les tourments du champion, de même que la douceur et la fragilité, des sentiments auxquels se marient la force, la détermination et le courage qui ont mené le gamin de Rosengård au sommet, d’où il nous parle maintenant d’entraîneurs et de penaltys, de vestiaires, d’adversaires et de ballons, mais aussi de bonheur, d’amitié et d’amour.
Extrait
Milan, lundi 4 octobre 2021
OK, je me rends.
J’ai quarante ans.
Je suis un dieu, mais un dieu qui vieillit.
Je l’admets enfin, de même que j’ai admis que mon
corps n’était plus celui d’autrefois. Pendant des années, j’ai négligé les signaux qu’il m’envoyait, puis j’ai décidé de les écouter. Je ne peux plus me permettre les sprints à répétition que je faisais dans ma jeunesse. Si je me fatigue ou si je prends des coups, je mets plus longtemps à récupérer. J’ai adapté mon jeu à mon nouveau corps. Je ne passe plus le match au cœur de la surface de réparation, là où volent les projectiles. Souvent je reste à l’écart et je construis le jeu, aujourd’hui je travaille plus pour les buts des autres que pour les miens. Ce n’est plus le moment de me mettre en vedette. Mes victoires, je les ai eues. À présent, ce qui me plaît, c’est d’être une inspiration pour les autres, de faire grandir mes jeunes coéquipiers.
J’ai quarante ans et deux fils, qui ne sont plus des enfants mais des adolescents. À cet âge, en général, on trace un trait sur la feuille et on fait les premiers comptes, les premiers bilans.
C’est le sens de ce livre.
Pendant des jours, j’ai essayé de faire comme si de rien n’était, de ne pas songer à mon anniversaire qui approchait. J’ai chassé de mes pensées le chiffre 40, mais hier soir je me suis retrouvé face à lui. Rouge et énorme, il occupait toute la façade d’un hôtel, où on l’avait dessiné en éclairant certaines chambres et en en laissant d’autres dans l’obscurité.
Dans cet hôtel de Milan, ma femme Helena a organisé une fête surprise qui m’a beaucoup ému. J’y ai retrouvé les êtres qui me sont le plus chers, un tas d’amis venus du monde entier, des gens qui avaient compté dans ma vie. Il y avait des légendes du football, des entraîneurs et même des joueurs que je n’avais pas ménagés sur le terrain. Je ne m’attendais pas à les voir tous réunis sur cette terrasse.
Rino Gattuso m’a donné une explication : « Tu t’es toujours montré authentique, même quand tu tapais sur eux. C’est pour ça qu’ils sont venus. »
Helena a été au top. Elle a tout organisé en cachette, elle m’a fait un beau cadeau. D’habitude, c’est moi qui fais des cadeaux aux autres.
J’ai déjà raconté bien souvent comment je suis parti de Rosengård pour devenir un champion de foot. J’ai grandi avec au pied un ballon Select tout pelé, en dribblant tous ceux qui se plaçaient sur mon chemin, dans ce Jardin des Roses qui était en réalité un repaire d’immigrés de toutes provenances. Il suffisait d’une étincelle pour déclencher la bagarre. Mais ce lopin de terre battue a été le laboratoire de mon football, l’école où j’ai appris les trucs qui m’ont permis de devenir Ibra.
Mes parents se sont séparés rapidement. J’étais ballotté entre une mère qui se tuait au travail pour remplir les assiettes et un père dont le frigidaire était souvent vide. Ce qui me manquait, je le prenais. Je volais des vélos et des vêtements, parce que j’en avais marre qu’on se moque de moi à l’école. Je portais tout le temps les chaussettes de foot et les survêtements du club de Malmö que je piquais en douce dans le vestiaire.
Puis le ballon m’a arraché au ghetto et m’a guidé vers une autre vie. Je suis arrivé à Amsterdam, où je me suis acheté ma première Porsche et où j’ai rencontré Mino Raiola, mon agent. Lui et ma femme Helena comptent et compteront toujours parmi les personnes les plus importantes de ma vie.
Mino est beaucoup plus qu’un manager, c’est un ami, un frère, un père... Il a tracé le chemin de ma carrière, de mes triomphes, m’a tiré d’affaire dans les moments les plus difficiles et a réglé pour moi d’innombrables problèmes. Plus je souffrais d’une blessure, plus je le sentais proche de moi.
De Hollande, Mino m’a mené en Italie, puis en Espagne, en France, en Angleterre, en Amérique et de nouveau en Italie.
Helena a toujours été plus mûre, plus responsable que moi. Elle m’a aidé à réfléchir, elle m’a enseigné le bon sens et aussi le bon goût, car elle sait reconnaître et créer les belles choses. Elle est particulièrement douée pour l’élégance. C’était son métier, et ça le redeviendra quand j’arrêterai de jouer. Au fil des ans, elle a beaucoup adouci les aspérités de mon caractère, et surtout elle m’a offert ce que j’ai de plus précieux au monde : mes deux fils.
Mais si tout le monde connaît Ibra le footballeur, l’homme Ibra reste un inconnu.
Je tente de le raconter maintenant, à mi-chemin entre ma carrière de joueur qui se termine et un avenir qui s’approche mais reste indéfini pour le moment. La structure de ce livre reflète ma condition actuelle, en suspens entre deux mondes.