Le secret de la cité sans soleil
Près de huit siècles après sa chute, la forteresse de Montségur n'a toujours pas livré son secret. Quel est donc ce fabuleux trésor que Templiers et cathares ont protégé au prix de leur vie ? Quel inestimable savoir rapporté des confins du monde cachent encore les entrailles du vénérable nid d'aigle ?
Quelques hommes que rien ne destinait à vivre cette aventure vont devoir exhumer d'urgence cet héritage avant qu'il ne tombe aux mains de ceux qui veulent en faire l'instrument du chaos. Pour avoir une chance de réussir, il va leur falloir résoudre les énigmes, affronter l'inconnu, et surtout survivre aux pièges...
Contre la montre, confrontés à ceux qui les menacent, ils n'ont pas d'autre choix que d'achever ce que leurs prédécesseurs ont commencé en 1244...
Extrait
Il faisait nuit, un peu froid. Le long des berges de la Seine désertes, les arbres dénudés s’alignaient, leurs branches privées de feuilles se découpant sur le ciel obscur. Il régnait par ici une quiétude devenue rare si près de Paris, et comme souvent en cette saison, nous n’étions que deux à courir ce soir-là. L’hiver commençait à peine, mais il se faisait déjà sentir dans la morsure de l’air qui glaçait nos poumons.
La course à pied n’avait jamais été un plaisir pour moi, ce n’était que le prétexte pour partager un moment avec Nathan. Ces trop rares heures nous permettaient de discuter entre nous, entre amis.
Depuis plusieurs années, le rituel s’était instauré, immuable : chaque fois que je me trouvais en France, je passais le chercher après son travail ; nous partions alors tous les deux du centre de Rueil en direction des rives du fleuve. L’aller – cinq kilomètres environ – se faisait en courant, après quoi, forts de ce maigre exploit, nous nous autorisions à revenir en marchant, et surtout en discutant. Pour nous, c’était cela l’important. Nous abordions des sujets aussi variés qu’imprévisibles ; le genre de conversation que les hommes ont d’ordinaire autour d’un verre.
Nathan était bien davantage que mon plus vieil ami. Il était le frère que je n’avais jamais eu, et un repère dans ma drôle de vie. Il possédait beaucoup de ce qui me manquait : un optimisme à toute épreuve, et surtout, l’insouciance...
Les lumignons électriques plantés à intervalles réguliers au bord de l’ancien chemin de halage projetaient à notre passage nos ombres mouvantes et démesurément déformées sur les buissons. Concentrés sur notre course, nous ne parlions pas encore. Les seuls sons audibles étaient ceux de nos foulées sur le chemin de terre pauvrement éclairé, nos profondes respirations, et le vent dans les dernières feuilles restées accrochées aux branches.
Dieu que j’aimais ces moments... Ils étaient comme une revanche sur ma solitude. Durant ces quelques heures loin de tout le reste, je réapprenais à vivre, à croire que le monde était ce qu’il avait l’air d’être, que ma vie était normale. C’était inespéré. Vital.
Sur le fleuve, une péniche chargée de sable glissait en ronflant dans le même sens que nous, sombre masse fendant des flots plus noirs encore. Sur le pont avant, dans la lueur des fenêtres de la cabine, un jeune garçon manœuvrait une large virole.
Notre modeste rythme allait tout de même nous permettre de doubler ce monstre flottant. Ce n’était pas la première fois, ça n’avait rien d’une performance, c’était juste amusant. Nos ombres bondissaient de buisson en buisson, le murmure de la Seine parvenait presque à couvrir les lointaines rumeurs de la ville.
Je me suis souvent demandé comment les choses auraient tourné si nous avions rebroussé chemin à ce moment-là. Mais en cet instant ne comptaient que nos souffles, le nuage de notre haleine qui s’estompait aussitôt formé, nos cœurs qui battaient, la cadence étouffée de nos semelles. Le garçon se redressa, appela son père.
Nous arrivâmes à la hauteur du golf, une immense étendue de gazon ponctuée çà et là par les taches plus claires des bunkers de sable. Le terrain était trop récent pour que les arbres aient eu le temps de grandir ; de toute façon, d’ici dix ans, les immeubles auraient tout envahi.
Le terme de notre course se profilait déjà : le bâtiment de meulière marquant notre ligne d’arrivée était en vue. Dans quelques instants, ce serait le demi-tour, la fin de notre « marathon ». Nathan me parlerait de Noël qui approchait, et moi de ce que je pouvais lui dire de mon travail. C’est fou l’importance que peut prendre le futile lorsqu’on en a besoin.
Puis, brusquement, tout a basculé. Un rugissement sourd, immensément puissant, les mains sur les oreilles, et là, juste devant nous, il a fait jour.