La théorie de la veste
« Je n’en peux plus de me trouver en rendez-vous avec des femmes plus belles, plus minces ou plus instruites que moi et qui ne croient pas en elles-mêmes. Je n’en peux plus de rencontrer des salariés qui n’osent pas demander de promotion ou d’augmentation, des entrepreneurs qui perfectionnent leur produit mais n’osent pas appeler leurs réseaux pour booster les ventes. Je n’en peux plus d’entendre certains parents dire à leurs enfants de " ne pas faire de vagues "…
Dans ce livre, je vous propose de découvrir ce qui se cache derrière la peur de l’échec et pourquoi se prendre des vestes au quotidien rend beaucoup plus fort, plus productif, efficace et sûr de soi. »
Extrait
Avant la Théorie de la veste, il y avait...
Les mormons
Lorsque j’étais petite, je devais assister aux messes mormones qui duraient trois heures chaque dimanche. Trois longues heures divisées en trois parties. Pendant la première heure, les femmes, les hommes et les enfants étaient tous réunis dans la chapelle principale sur des chaises en plastique – pas de bancs chez les mormons –, tête baissée pour écouter la prière, avant d’être séparés pour les deux heures suivantes.
Ce jour-là, j’avais dans mon sac le petit matériel du bon mormon de 14 ans : mon cahier d’études religieuses – à présenter chaque dimanche pour prouver que j’étais bien allée à la prière quotidienne de 5 h 30 à 6 h 30 pendant la semaine –, le « Séminaire », comme ils l’appellent, et mon Livre de Mormon, une sorte de bible mormone écrite par le fondateur de l’Église dans les années 1800, lequel avait eu une révélation divine en plaçant des pierres magiques dans un chapeau... Mais j’avais aussi fourré dans mon sac une bombe de laque pour cheveux et des allumettes. Pour brûler mes livres. Et j’étais bien décidée à le faire, je vous assure.
Vous vous demandez sûrement pourquoi je vous raconte cette histoire digne d’un film d’horreur. Quel rapport avec la Théorie de la veste ? Vous allez comprendre.
Je suis l’aînée de dix enfants élevés dans le micro-village de Fox Creek, en Alberta, au Canada. Ma famille représentait donc une grande partie des habitants. On vivait loin de tout ; l’hypermarché le plus proche était à 220 kilomètres. Et l’hiver durait huit mois.
En tant qu’aînée, j’étais censé montrer l’exemple. Alors à 11 ans, quand je me suis déclarée athée, ma famille a cru que j’étais possédée par le diable. Mes parents m’ont forcée à aller à l’église. Quand à 13 ans j’ai eu un petit copain et que j’ai commencé à vouloir me maquiller, mes parents, déboussolés, sont allés interroger l’évêque de la paroisse pour savoir « quoi faire de cette enfant incorrigible qui ne prie plus, se proclame athée et qui veut maintenant se maquiller ». La réponse fut sans appel : « Votre fille est comme une pomme empoisonnée. Si on la laisse avec les autres, elle va toutes les contaminer. Il faut l’éloigner. Et le plus tôt sera le mieux. » Ni une ni deux, mes parents m’ont confiée à une famille d’accueil. Une famille mormone installée au milieu de nulle part, à la campagne, à une heure de car de la première école. Et pendant que les parents travaillaient aux champs, il fallait que je m’occupe de leur fille handicapée.
Quelques mois plus tard, j’ai eu 14 ans. Règlement mormon oblige, il me fallait commencer mes cours de doctrine religieuse : étude du « Séminaire » chaque matin aux aurores. La première semaine, je n’y ai pas assisté. Quand le premier dimanche est arrivé, je n’avais donc rien à montrer à l’inspecteur. Je ne me suis pas démontée, je lui ai expliqué que j’étais athée. Il m’a dit de me taire, que Dieu pourrait m’entendre, Satan aussi – et qu’il allait en profiter pour me posséder. Et, bien sûr, cet inspecteur a immédiatement conseillé à ma famille d’accueil de me serrer davantage la vis. Le soir même je fus très sévèrement punie.
Mais qu’importaient les punitions, rien n’aurait pu me faire prendre au sérieux ces textes tout droit sortis d’un chapeau. Je me concentrais sur mes études car je savais que les bonnes notes en classe me mèneraient sur le chemin de la liberté. Malheureusement, une autre semaine à sécher mes cours de Séminaire me priva de tous mes livres ; le seul auquel j’avais droit était le Livre de Mormon. On m’avait supprimé tous les autres. La seule condition pour y avoir accès à nouveau était de suivre les cours de Séminaire... Ça ne s’arrangeait pas.
Mais la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, c’est une « soirée des mutuelles ». Trois heures de messe dominicale et une heure d’étude religieuse chaque matin ne suffisent pas à faire de vous un bon mormon. De 12 à 18 ans, les jeunes filles doivent aussi assister chaque jeudi soir à une réunion ayant pour but de les former à leur vie d’épouse parfaite, de mère parfaite. On leur enseigne comment cuisiner, coudre, tricoter, bricoler, jardiner fruits et légumes, entretenir son jardin, décorer sa maison, pratiquer les premiers secours, couper, coiffer et tresser ses cheveux, faire du point de croix, abattre une poule... La liste est proche de l’infini. Mon mari, aujourd’hui encore, n’en revient pas que je sache faire tout ça !
Ce fameux jeudi soir, sur le planning des activités, on pouvait lire « carrer training », formation de carrière, en français. C’était la première fois que je me rendais à l’église avec le sourire : j’avais hâte d’y entendre enfin quelque chose qui allait m’intéresser. On allait parler carrière !
Notre animatrice, sœur Swanson, commença par nous donner des nouvelles de Salt Lake. Salt Lake City, c’est le Vatican mormon ; tout ce qui venait de là-bas nous était lu à haute voix aux différentes messes. Sœur Swanson nous indiqua donc qu’un nouveau communiqué venait de tomber concernant toutes les jeunes adolescentes du monde mormon. Dans les grandes lignes, ce texte nous informait qu’il y avait de plus en plus de femmes mariées qui se trouvaient en grande difficulté parce que leur époux avait succombé à un accident ou à une maladie et qu’elles se retrouvaient dans l’obligation de demander de l’aide à l’Église – de la nourriture et de l’argent – afin de pouvoir subvenir aux besoins de leurs (nombreux) enfants. Ces femmes pesaient lourd sur les finances de l’Église (chaque mormon reverse 10 % de ses revenus à la communauté pour accéder à l’amour de Dieu ; un peu comme Netflix, mais en moins drôle) et il était donc grand temps qu’elles soient formées à un métier avant de se marier et d’avoir des enfants. Le communiqué s’achevait par une liste des métiers « acceptables » pour une femme mormone : coiffeuse, secrétaire, assistante dans les écoles maternelles, auxiliaire de personnes âgées, assistante médicale, puéricultrice, esthéticienne. Les diplômes ne devaient pas s’obtenir en plus de deux ans – douze mois c’était mieux –, car ce temps à ne pas faire d’enfants était « volé à Dieu »...
J’étais folle de rage. J’avais envie de pleurer, de cracher au visage de sœur Swanson. « C’est tout ? Coiffeuse ? Secrétaire ? » ai-je demandé. La pauvre sœur Swanson n’a pas su quoi me répondre et m’a conseillé d’aller demander d’autres informations à l’évêque. Furieuse, j’ai quitté la pièce pour que personne ne voie mes larmes. Dans ma tête d’adolescente, je ne savais pas vraiment ce que signifiait une « carrière », mais j’avais compris que derrière ce mot se cachaient de beaux appartements dans de grandes villes et que ces femmes qui avaient une « carrière » étaient écoutées lorsqu’elles prenaient la parole, qu’elles gagnaient de l’argent et pouvaient se payer des taxis...
Devenir coiffeuse ou assistante maternelle, c’est très bien quand vous le choisissez, mais je n’avais aucune envie de faire ce type de job. Je ne savais pas ce que je voulais devenir plus tard, mais je voulais pouvoir choisir parmi une infinité de carrières ! J’ai détesté ce put*** de communiqué et ma déception a été à la hauteur de mon attente.
Après avoir beaucoup pleuré, j’ai ressenti une colère immense. J’étais athée, personne ne pourrait me prouver le contraire. J’aurais une belle carrière, personne ne pourrait m’en empêcher. J’avais besoin de m’affirmer. De le crier à la terre entière. Et c’est ce cri du cœur, ce besoin viscéral qui m’a donné l’idée de glisser de la laque et des allumettes à côté des textes sacrés dans mon sac le dimanche suivant.
Une grande fenêtre de la chapelle donnait sur une vaste pelouse enneigée. J’ai pris place dans l’église en attendant le moment idéal. Après quelques minutes de prière, j’ai attrapé mon sac et je suis sortie discrètement. Dehors, juste devant la grande fenêtre, j’ai creusé un trou dans la neige. J’y ai jeté ma bible, mes cours de Séminaire et mon Livre de Mormon. J’ai tout aspergé de laque avant d’y mettre le feu. Je me souviens qu’il m’a fallu m’y prendre à plusieurs reprises pour que ça flambe. Puis j’ai lancé la bombe de laque dans les flammes de ma rébellion et je suis revenue à ma place, au chaud, dans l’église. Moins d’une minute plus tard, une explosion a retenti. Je devenais officiellement une terroriste domestique.
Le temps que la foule se précipite dehors, le feu d’artifice était déjà éteint – une seule bombe de laque ne pouvait pas grand-chose face à tant de neige – et ne restait sur place que la preuve flagrante de ma révolte.
« Qui a fait ça ? » ai-je entendu. Je suis sortie de la foule, je me suis avancée à côté de mon œuvre. La neige m’arrivait à hauteur de hanches mais on voyait distinctement les textes sacrés brûlés sur la couche de neige fraîche. C’était exactement ce que j’avais planifié. Je voulais que sœur Swanson, l’évêque et tous les autres comprennent en me voyant que rien ne pourrait m’arrêter. Bien droite devant les cendres, j’ai relevé le menton, croisé les bras lentement, et prononcé calmement ces mots : « C’est moi. » Autour, tout le monde s’est regardé et des murmures sont montés de la foule.