07.07.07
Rocco Schiavone est le genre de sous-préfet romain qu’on adore détester : mine grincheuse, ton sarcastique et langage fleuri.
Dans cet épisode, il se promène dans son passé, déambule dans la Ville éternelle qu’il connaît par cœur, fréquente quelques malfrats et fume des joints, de préférence le matin. Sa femme n’est pas encore devenue le fantôme de ses remords : elle est vivante, passionnée par son travail, dévouée à ses amis. Jusqu’à ce fatidique 7 juillet 2007, jour de sa disparition.
Une enquête haletante de Rocco Schiavone qui ravira les amoureux du commissaire Montalbano, de l’Italie et des polars à l’humour grinçant.
Extrait
«United united united we stand, united we never shall fall!»
Il ouvrit les yeux et se redressa d’un bond. «Mais qu’est-ce que...?» Alarmée par les mouvements de son maître, Lupa tendait l’oreille. La musique provenait de l’appartement d’à côté.
«United united united we stand, united we stand one and all ! » Rythme tribal, guitares glaireuses et distordues, chœur simiesque qui répétait un slogan débile. Ce genre de musique, le heavy metal, se situait pour Rocco au septième niveau dans la classification des emmerdements. Joué à 3h45 du matin, il passait automatiquement au niveau neuf. «Bordel de merde!» hurla-t-il en se levant. Au bout de dix jours, il se sentait à l’aise dans son nouvel appartement de via Croix de Ville, mais pas avec ses voisins. Surtout ceux d’en face.
Pas le choix, il lui fallait se fendre d’une visite.
Il ouvrit la porte. Le froid de l’escalier le heurta de plein fouet. Il rentra chez lui, enfila son loden directement sur son boxer et son T-shirt puis ressortit, pieds nus. Il frappa.
Aucune réponse. La musique se déversait jusque sur le palier.
« So keep it up, don’t give in... »
Il enfonça la sonnette, martela la porte à coups de poing. Soudain, le bruit cessa. Des pas rapides suivirent. Un raclement sur le bois de la porte, signe que quelqu’un observait par le judas.
— Oui, c’est moi, Schiavone, le voisin. Ouvrez !
Le battant s’ouvrit. Un garçon de seize ans apparut. Acné, cheveux longs, en slip, un T-shirt Iron Maiden troué, la peau aussi blanche que le ventre d’un poisson.
— Ou... oui ?
— Oui? Tu me dis oui? Bordel de merde, il est 3h45 et tu mets cette saloperie à fond ?
Le garçon rentra la tête dans les épaules.
— Pardon. Je pensais qu’il n’y avait personne.
— Tu penses mal. Ça fait dix jours que j’habite ici. Et les autres voisins, tu les as oubliés ?
— L’immeuble est vide. Les Benaix sont aux Pays-Bas, les Candiani aussi sont partis. Excusez-moi, si j’avais su...
— Maintenant, tu sais. Enfile ton casque et balance-toi Judas Priest dans les tympans, je m’en fous !
Le garçon esquissa un sourire.
— Vous connaissez Judas Priest ?
— Bien sûr, c’est un groupe de quand j’étais jeune. Mais toi, comment tu connais ?
Le voisin leva timidement la main droite, les doigts en forme de cornes, le pouce tendu, et lança «Rock’n’roll will never die ! » en souriant.
— Mais t’es débile ou quoi ? fit Rocco. Allez, va au lit, mon grand, il y a école demain. Si tu me réveilles encore avec cette merde, je te fais dévorer par Lupa !
Le garçon sembla seulement alors remarquer le chien. — Oh, il est trop beau !
— Elle!
— C’est quelle race ?
— Saint-rhémy-en-Ardennes.
Le garçon éclata de rire.
— Ça existe ?
— Si un groupe comme Judas Priest existe, une race comme ça existe aussi.
— Moi, c’est Gabriele.
— E sticazzi. Ça me fait une belle jambe, répondit Rocco. Sa colère n’était pas encore passée. Il se retourna et rentra chez lui.
Plus question de dormir. Après une douche rapide pour lui et une gamelle bien remplie pour Lupa, ils étaient sortis. L’aube tachait de rose le ciel et les toits humides d’Aoste. Il avait envie de prendre son petit déjeuner, un double café et deux brioches, tout en regardant la place Chanoux se teinter lentement des couleurs de cette nouvelle journée qui s’annonçait splendide, pas un nuage entre les cheminées éteintes depuis plus d’un mois.
Il regarda ses chaussures : cette seizième paire de Clarks achetée en dix mois avait été la plus chanceuse. Avec un petit effort, elles dureraient peut-être jusqu’à l’hiver prochain. Un vent léger, froid mais pas glacé, lui caressait le visage. Lupa s’arrêtait à chaque coin de rue pour renifler les messages laissés la veille par les autres chiens. Quant à lui, il s’arrêta au kiosque pour prendre le journal. Il n’en crut pas ses yeux quand il découvrit l’article en première page.