Stella

Auteur : Takis Würger
Editeur : Denoël
En deux mots...

Ce roman inspiré de l’histoire vraie de Stella Goldschlag dresse le portrait d’une femme prise dans l’engrenage tragique de l’Histoire.

Traduit de l’allemand par Daniel Mirsky
19,00 €
Parution : Octobre 2020
224 pages
ISBN : 978-2-2071-6094-7
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Présentation de l'éditeur

Berlin, 1942. Friedrich, jeune Suisse installé à Berlin, rencontre Kristin dans une école d’art. Elle l’entraîne dans les folles nuits de la capitale, l’enivre de cognac dans des cabarets clandestins et lui donne son premier baiser. À ses côtés, la guerre semble bien lointaine.
Mais un matin, la réalité le rattrape. Kristin frappe à sa porte, le visage tuméfié, lui avouant qu’elle ne lui a pas dit toute la vérité. Son vrai nom est Stella, elle est juive. La Gestapo l’a démasquée et l’oblige à conclure un pacte inhumain : dénoncer des juifs pour sauver sa famille.

La presse en parle

En témoin passif, impuissant, naïf ou sidéré, le nar- rateur assiste à la création d’un monstre par un système monstrueux. À moins qu’il n’observe la rencontre entre la part monstrueuse d’une femme et un système mons- trueux. La fiction permet d’approcher l’humanité de Stella Goldschlag, sans comprendre l’incompréhensible, sans justifier l’injustifiable. Parce que dans les tréfonds de son humanité se situent les raisons de ses actes, sa descente aux enfers, ses choix, ses crimes. Ce que nous dépeint, par touches volontairement imprécises, ce roman, c’est un être complexe, projeté sans l’avoir voulu dans l’Histoire, tour à tour violenté et devenant bête féroce, une femme ren- due folle et peut-être folle depuis toujours. En ce sens, ce roman qui est tout sauf un livre d’histoire touche du doigt l’une des meilleures définitions de l’événement historique : les conséquences des choix effectués par les individus en réponse à quelque chose qui leur tombe collectivement dessus sans qu’ils l’aient prévu.
Antoine Vitkine

Extrait

Préface par Antoine Vitkine
La création d’un monstre par un système monstrueux : voilà ce que ce roman tente d’approcher. En Allemagne, où il est paru, il a suscité une vive polémique. L’époque, certes, n’aime rien tant que s’offusquer ou fustiger. Que ce livre puisse mettre mal à l’aise, choquer, on le comprend pourtant, lorsqu’on songe au parcours de Stella Goldschlag, la Stella de ce roman. Cette Juive berlinoise qui fuit les persécutions est arrêtée au printemps 1943, à l’âge de vingt et un ans, atrocement torturée par la Gestapo et emprisonnée. Elle choisit alors de collaborer avec la police nazie : pour sauver sa peau et celle de ses parents, elle accepte de rechercher et de dénoncer les Juifs qui se terrent à Berlin. Puis, après la déportation de ses parents, mais aussi de son mari, elle redouble de zèle et continuera, jusqu’à la fin de la guerre, de traquer, de piéger, de tromper, avec une terrible efficacité et une perversité indéniable. Se faisant parfois passer pour une résistante, promettant de l’aide, afin de mieux découvrir d’autres caches, elle passe Berlin au peigne fin. Il arrive à cette belle blonde, bientôt connue sous le nom de « poison blond », de se rendre à des funérailles pour identifier les Juifs ayant perdu, avec leurs conjoints non juifs décédés, leur dernière protection face aux lois raciales. Disposant d’une arme, elle procède parfois à des arrestations. Chacune de ses proies lui rapporte quelques centaines de marks. Au sein du petit groupe avec lequel elle opère, et auquel appartient son nouveau mari, Stella Goldschlag aurait été responsable de la déportation de six cents à trois mille personnes. Après la guerre, elle sera jugée, trois fois, et trois fois condamnée pour complicité de crime contre l’humanité, elle purgera dix ans de détention dans une prison soviétique, puis vivra une vie rangée en Allemagne fédérale, se convertira au protestantisme, se mariera cinq fois en tout et se suicidera à l’âge de soixantedouze ans. Jamais elle n’expliquera ses actes, se bornant à se décrire comme une victime du nazisme. Son parcours criminel dans le Berlin du IIIe Reich nous apparaît révulsant, sidérant et difficilement compréhensible. De ce mystère, de ce sentiment d’horreur et de cette sidération, Takis Würger a choisi de faire un roman. Un roman d’amour, qui plus est. Cela lui a été reproché par une partie de la presse allemande, avec d’autant plus de virulence que ce livre a connu le succès.
Pour ma part, en abordant ce livre, j’avais une crainte. En mettant en lumière Stella Goldschlag, ne risque-t-on pas de susciter ou de nourrir un paradoxe malsain, à une époque troublée, où l’antisémitisme prospère sur la confusion et l’inculture ? Ce paradoxe est celui du Juif complice des nazis. Il comporte un soubassement aussi dangereux qu’insupportable : si des Juifs ont pu collaborer à la Shoah, alors ils ne seraient pas uniquement des victimes. Cette fable a une autre variante, plus élégante, non moins détestable : si des Juifs ont pu participer aux persécutions, alors la culpabilité ne se limiterait pas aux nazis et à leurs complices, mais s’étendrait potentiellement à chaque être humain et donc à personne en particulier. Ce risque existe, certes. Mais voilà, Stella Goldschlag a bien existé, des Juifs ont bien collaboré, quoique de manière marginale : les Judenrats par exemple, tragiques tentatives de composer avec les nazis, de se sauver ou de sauver ce qui pouvait l’être, ou parfois, plus rarement, entreprise criminelle au profit de quelques-uns. Plus rarement encore ont existé des Stella Goldschlag : à Berlin, le petit groupe de Juifs dont elle fit partie, ou encore à Paris, une poignée de malfrats qui se mirent au service de l’ordre nouveau. Faut-il s’en étonner? La capacité des nazis à tromper leurs victimes ou à convaincre certaines d’entre elles de coopérer à leur propre extermination, jusque dans les camps de la mort, est constitutive de ce qu’a été le nazisme : un système intrinsèquement pervers cherchant les failles de ses victimes pour parvenir à exterminer une multitude d’autres victimes. Cette perversité nazie est tout entière dans ce livre; elle est même, en filigrane, son principal sujet, au travers du destin de Stella, confrontée – en tant que Juive et parce que juive – à la perversité nazie. La figure étrange et détraquée de l’officier SS Tristan von Appen, personnage fictif dont l’auteur suggère qu’il aurait pu recruter Stella, lui proposer en somme un pacte faustien, est, à cet égard, significative.
Cela dit, historiquement, Stella n’est pas représentative de ce qu’a été la Shoah – et à aucun moment d’ailleurs l’auteur ne le laisse penser. Aux yeux du narrateur, et donc aux nôtres, elle apparaît comme un être hors-sol, comme enfermée dans une bulle, tandis que le contexte des persécutions, de la barbarie nazie ou de l’actualité mondiale est adroitement rappelé au début de chaque chapitre, comme un assourdissant bruit de fond. Stella est une sorte de curiosité dans le bestiaire du mal. Ce cas exceptionnel ne mériterait sans doute guère plus qu’une note de bas de page dans un livre d’histoire consacré à l’extermination des Juifs d’Europe, pas plus qu’une page perdue dans l’océan des fiches Wikipédia. Mais la singularité est la matière brute du roman. Celui-ci permet d’appréhender l’exception, de lui donner un sens. C’est là son pouvoir – mais aussi sa responsabilité. Il a notamment été reproché à Takis Würger d’avoir instrumentalisé l’Histoire pour écrire un roman, pis, d’avoir inventé une histoire d’amour et d’y avoir mis en scène Stella. Disons-le nettement, le débat récurrent sur les rapports entre fiction et nazisme, ou en l’occurrence roman et Shoah, n’a pas grand sens. Un roman ne peut évidemment dire l’Histoire, c’est la tâche des historiens, mais il peut essayer de la comprendre, il peut la rendre sensible, la faire revivre, bref, il peut faire beaucoup de choses, qui peuvent même concourir à la mémoire et à la connaissance du nazisme : ainsi la série américaine Holocauste ou le film La Liste de Schindler ont-ils, dans l’opinion publique, marqué des tournants. En réponse aux critiques adressées à Stella, des libraires allemands ont publié une lettre ouverte, défendant le principe d’une intangible liberté de création. Là n’est pas la question. Morale, mémoire, Histoire et création artistique ne s’excluent pas, ne sont pas des univers distincts. Elles se parlent, se confrontent, doivent rendre des comptes. Car si le débat fiction-Histoire n’a pas de sens, si le roman a tous les droits, cela n’exonère pas le romancier de responsabilités, en premier lieu celle de ne pas trahir ou déformer l’Histoire, en particulier s’agissant d’une période encore douloureuse. Tout en s’inspirant librement du parcours de Stella Goldschlag pour bâtir un roman, Takis Würger prend indéniablement garde à ne pas trahir ni déformer l’Histoire.

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