Le premier mot: Au commencement. Histoire d'un contresens
Au commencement de Pierre-Henry Salfati se présente comme un essai visant à défaire un contresens majeur qui a émergé après la traduction grecque de la Torah, notamment en ce qui concerne le mot Bereshit ; traduit par « Au commencement ». Salfati remarque qu'il constitue l'un des principaux éléments ayant bâti, dans l'imaginaire collectif, nombre de dissensions et provoqué nombre de conflits. Il s'agit donc ici de tenter de restituer le sens du texte originel.
Toutes les Bibles du monde font commencer « la » Bible par l'expression « Au commencement ». L'expression est devenue tellement usuelle qu'il peut sembler parfaitement incongru de préciser qu'en hébreu, le mot Bereshit, premier mot de la Torah hébraïque, n'a pour sa part jamais signifié « Au commencement ». C'est tout simplement un mot qu'aucune langue ne peut réellement traduire, on ne le trouve qu'une unique fois dans l'ensemble du livre, aucune autre référence ne permettant de circonscrire son sens littéral. A l'aide du commentaire de Rashi, célèbre rabbin et exégète du xiie siècle, Pierre-Henry Salfati mène l'enquête. Il nous éclaire sur le contresens qui a émergé après la traduction grecque de la Tora, la Septante, et sur ses conséquences considérables dans l'imaginaire collectif occidental, et tente ici de restituer le sens du texte originel.
Extrait
De quoi il retourne ?
Toutes les Bibles du monde font commencer « La » Bible par un « Au commencement ». Il est devenu tellement usuel qu’il peut sembler parfaitement incongru de préciser qu’en hébreu, le mot Bereshit, premier mot de la Torah hébraïque, n’a pour sa part jamais signifié « Au commencement ». Traduire incessamment Bereshit par « Au commencement » a induit une quantité de contresens dont il ne va pas être aisé de se départir. Avec ce « commencement », l’Occident, et avec lui une grande partie de l’humanité, a pu se persuader que le monde a eu un commencement, et chaque individu être convaincu du début de sa propre existence. Il va sans dire que la Bible n’est pas la seule responsable de l’évidence supposée du concept de commencement. Mais, par son retentissement, elle a perpétué sans retenue particulière la croyance qu’il y aurait un instant « t » à partir duquel les choses auraient commencé. Le fait est qu’il est impossible de situer précisément cet instant « t » et pour le commencement du monde, et pour le commencement de soi. Les plus fervents disciples du big bang sont en train de remettre en cause de moins en moins discrètement une hypothèse dont ils se sont ravis hier, et dont timidement, aujourd’hui, ils se ravisent, semble-t-il. Ainsi, ce « commencement » virtuel du monde est forcément remis en question, comme le sont, un jour ou l’autre, tous les commencements1.
Qui peut dire quand commence sa propre vie ? Au début de la chaîne généalogique de ses ancêtres ? À la rencontre de ses parents ? À leur premier regard ? Au moment où ils furent eux-mêmes conçus ? À l’instant de sa propre conception ? Au terme de sa gestation intra-utérine ? À l’heure de sa naissance ? À sa première conscience du monde ? Au moment même où il réalise que la vie n’est pas une mince affaire ? Quelques instants avant de rendre l’âme ? Ou juste après l’avoir rendue ? Voilà posée la difficulté, rien ne commence vraiment, et pourtant il faut bien que commencent les choses. Le comble étant, a contrario, qu’il semblerait que tout ne fasse que commencer toujours, l’existence se découvrant tel un perpétuel commencement à tel point que même la fin de l’existence a un commencement, ou peut s’envisager comme commencement primordial.