Pour tout l'or du monde

Une enquête intime sur les traces des Troadec
Auteur : François Rousseaux
Editeur : Fayard

Orvault, dans la banlieue de Nantes, la nuit du 16 février 2017. La famille Troadec disparaît, et la France observe cette histoire comme une équation impossible : quatre disparus, une maison vide, des traces de sang nettoyées, ni explication ni arme du crime. Une nouvelle affaire de Ligonnès ? Un suspect finit par avouer, les corps sont retrouvés dans le Finistère. Le mobile ? L'or. Un prétendu butin datant de 1940.
François Rousseaux n'a jamais oublié Pascal, Brigitte, Sébastien, Charlotte, les victimes. Il les raconte, avec une pudeur infinie. Dans cette enquête devenue une quête, il dissèque les soupçons et les peurs. Il s'est glissé dans la tête du suspect, il a arpenté les terres brumeuses de l'Ouest, rencontré les protagonistes à l'approche du procès. Il a exhumé, aussi, le mystère de l'or.
Quatre années pendant lesquelles ce journaliste s'est confronté aux frontières de l'intime. En détricotant les secrets et les jalousies d'une famille a priori sans histoire, François Rousseaux livre ici le roman vrai d'un drame hors norme.

19,00 €
Parution : Avril 2021
288 pages
ISBN : 978-2-2137-1169-0
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Extrait

Prologue

« On ne fait pas trois cents kilomètres pour nous dire qu’on a piqué de l’or dans l’immeuble ! » Brigitte Troadec a un haut-le-cœur. Elle se lève, manque de faire tomber une chaise, cherche la porte du regard. La mère de famille voudrait rentrer chez elle, à Orvault. Son mari Pascal la rattrape par le bras. Lui aussi reprendrait bien la route. Mais quitte à être là, autant entendre la suite. En ce samedi d’été 2014, sous la véranda, « Mamie Renée » vient de leur réclamer la moitié de ce qu’ils lui ont pris.
« La moitié de quoi ? » sourcille Brigitte.
Des pièces d’or.
« Où il y a des pièces d’or ? » reprend-elle.
Le couple Troadec tombe des nues. Dire qu’ils pensaient déjeuner en famille. De toute façon, ils ont l’appétit coupé. Déjà, en garant leur voiture sur le trottoir, ils appréhendaient cette convocation maquillée en invitation. Pascal a bien tenté de faire bonne figure, en franchissant le seuil de l’entrée. Il a souri, claqué la bise à sa sœur Lydie. Mais celle-ci a le regard noir. Son compagnon, Hubert Caouissin, en retrait près de la table en bois d’acajou, se tient prêt à intervenir. Il sait qu’un dictaphone caché dans le soutien-gorge de Lydie enregistre toute la conversation. « Quelque chose de très très très important qui change complètement les vies de tout le monde » a disparu, déclare-t-il, solennel et mystérieux. Il fixe son beau-frère Pascal droit dans les yeux. Soit lui et sa femme n’y sont pour rien, et dans ce cas ils n’ont rien à craindre. Soit ils ont quelque chose à se reprocher, et dans ce cas, tant pis pour eux. « Qu’est-ce que c’est que cette histoire débile ? » s’exclame Brigitte. Deux camps s’affrontent. Il y a ceux qui accusent, et ceux qui encaissent. « On n’a rien volé », se défend Pascal, sidéré, à quarante-six ans, d’être soupçonné par sa propre famille de s’être emparé de pièces d’or. Le voilà qui s’emporte, les traite de « malades ».
Au milieu de la pièce, Mamie Renée tourne de l’œil. En son for intérieur, la vieille dame aux cheveux courts foncés savait que cette confrontation n’était pas une bonne idée. D’ailleurs, ce n’est pas la sienne. Depuis qu’elle est veuve, on ne sait plus très bien qui commande dans cette famille. Plus tard, elle racontera que son fils Pascal, incontrôlable, a soulevé la table de fureur, et qu’elle a pris peur. Les cris fusent, une bagarre manque d’éclater, Lydie menace d’appeler les gendarmes. Elle se contentera d’aller chercher de l’eau fraîche. On boit, on se rassied, et l’impossible dialogue reprend. « Ah, parce qu’on a acheté une Audi, on a piqué des sous ? » tempête Brigitte. « Et tu crois qu’on aurait creusé le sol ? » lance-t-elle à Hubert. Le soir même, elle appellera sa grande sœur Martine : « Non mais tu sais de quoi ils nous accusent ? »
Les mots sortent comme ils viennent, les paroles se chevauchent. S’il avait eu de l’or, Pascal aurait une « belle » et « grande » maison. Brigitte, elle, « n’en a rien à faire de gagner quelque chose ». Qu’Hubert aille voir ses comptes bancaires s’il veut en avoir le cœur net.
À entendre celui-ci, pourtant, tout était si « fabuleux ». De l’or en lingots, en pièces, par sacs, plus besoin de travailler, les enfants après eux non plus. Le couple Troadec reste estomaqué. Pascal se met à y croire un bref instant, mais le doute le rattrape : si ce trésor existe, il ne doit pas valoir grand-chose. Tout l’inverse d’Hubert, qui livre son équation sans détour. On demande le silence. Il leur propose un « arrangement ». Et prévient que pour des magots pareils, on « tue ». On « éradique » des familles entières. « Tous, tous, tous. » Pascal fixe sa sœur : « Tu sais très bien que je ne suis pas un voleur, Lydie. » Dans le brouhaha, le couple a juré qu’il ne remettrait plus jamais les pieds ici. Il lui faut parcourir deux cent quatre-vingt-dix kilomètres dans l’autre sens. Brigitte a-t-elle pris le volant, comme souvent ? Pascal s’est-il encore rongé les ongles ? Le trajet leur a peut-être semblé court, tant ils ont commenté la scène, refait le film, s’agitant sous le pare-soleil baissé. Ou alors se sont-ils tus, hébétés, scotchés aux fauteuils du véhicule ?
Ce 5 juillet 2014, Pascal et Brigitte Troadec n’apprennent pas seulement qu’un trésor familial existerait. Mais qu’il s’est volatilisé. Et que les coupables désignés, ce sont eux.

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