La liste de Kersten

Auteur : François Kersaudy
Editeur : Fayard

Dans Les Mains du miracle, Joseph Kessel raconte l'exploit du thérapeute d'Himmler qui se faisait rémunérer en libérations de juifs et de résistants - sans que le lecteur puisse toujours distinguer la fiction du réel. François Kersaudy, historien spécialiste du IIIe Reich, retrace la véritable histoire de Felix Kersten, un récit de terreur, de lâcheté, de générosité, de fanatisme et d'héroïsme qui tiendra jusqu'au bout le lecteur en haleine.
Tout le monde en France connaît l'histoire d'Oskar Schindler, qui a sauvé un millier de juifs durant la Seconde Guerre mondiale. Mais on connaît beaucoup moins l'exploit de Felix Kersten, et pourtant, un mémorandum du Congrès juif mondial établissait dès 1947 que cet homme avait sauvé en Allemagne « 100 000 personnes de diverses nationalités, dont environ 60 000 juifs, [...] au péril de sa propre vie ». Encore, à l'issue du récit qui va suivre, de tels chiffres sembleront-t-il passablement sous-évalués.
Un des ouvrages les moins connus et les plus émouvants de Joseph Kessel s'intitule Les mains du miracle. Ce roman retraçait déjà l'exploit du thérapeute d'Himmler qui se faisait rémunérer en libérations de juifs et de résistants  sans que le lecteur puisse toujours distinguer la part de Kessel de celle de Kersten. Pour reconstituer la véritable histoire au travers des archives, des mémoires, des journaux, des notes et des dépositions des principaux protagonistes, il fallait un historien spécialiste de la Seconde Guerre mondiale, qui connaisse également l'allemand, l'anglais, le suédois, le norvégien, le danois et le néerlandais. Le résultat est un récit de terreur, de lâcheté, de générosité, de fanatisme et d'héroïsme qui tiendra jusqu'au bout le lecteur en haleine. Combien de fois dans l'existence rencontre-t-on un périple de cette envergure - sans un mot de fiction ?

23,00 €
Parution : Février 2021
350 pages
ISBN : 978-2-2137-1327-4
Fiche consultée 200 fois

Extrait

Introduction

Tout le monde en France connaît l’histoire d’Oskar Schindler, qui a sauvé un millier de juifs en les soustrayant à l’extermination nazie durant la Seconde Guerre mondiale. Mais en vérité, Felix Kersten a accompli un exploit plus considérable encore qu’Oskar Schindler. Dès 1947, un mémorandum du Congrès juif mondial établissait que Felix Kersten avait sauvé en Allemagne « 100 000 personnes de diverses nationalités, dont environ 60 000 juifs, […] au péril de sa propre vie ». Encore, à l’issue du récit qui va suivre, de tels chiffres sembleront-t-il passablement sous- évalués…

Un des livres les moins connus et les plus émouvants de Joseph Kessel s’intitule Les Mains du miracle. Ce roman retraçait déjà l’exploit du thérapeute d’Himmler qui se faisait rémunérer en libérations de juifs et de résistants – sans que le lecteur puisse toujours distinguer la part de Kessel de celle de Kersten. Il est vrai que ce dernier a rencontré chez les historiens occidentaux la même incrédulité condescendante que celle qui avait accueilli en leur temps Otto Strasser, Hermann Rauschning et Hans-Jürgen Köhler – autant de réfugiés politiques ayant décrit en toute connaissance de cause le régime d’Hitler dès la fin des années trente. Mais s’agissant de Kersten, on peut également relever une certaine contradiction dans le fait que la plupart des historiens qui lui dénient toute valeur en tant qu’acteur ou témoin ne cessent de le citer dans leurs ouvrages. À quoi il faut ajouter que leur scepticisme se heurte à plusieurs faits incontestables : l’agenda et la correspondance d’Himmler montrent qu’il a bénéficié plus de deux cents fois des soins de Felix Kersten entre mars 1939 et avril 1945, à raison d’une heure par séance ; en outre, les propos notés à l’issue de ces rencontres et rapportés dans les Mémoires du thérapeute dès 1947 correspondent parfaitement à ce que révéleront les transcriptions des conciliabules au sommet de la hiérarchie nazie publiées entre cinq et trente-trois années plus tard ; par ailleurs, de nombreux documents originaux signés de la main d’Himmler ou de son secrétaire particulier Rudolf Brandt attestent surabondamment l’action de Kersten en faveur des victimes du régime ; c’est également le cas des dépositions publiques et des Mémoires personnels de ses alliés comme de ses adversaires ; du reste, la correspondance diplomatique américaine, britannique, néerlandaise et suédoise durant les deux dernières années de guerre indique clairement que, depuis les ambassadeurs jusqu’aux ministres des Affaires étrangères en passant par Franklin Roosevelt et Winston Churchill, tous étaient informés des entreprises de Felix Kersten ; enfin, la plupart de ses assertions sont vérifiables, et lorsqu’elles se révèlent inexactes ou exagérées, il est presque toujours possible d’en découvrir les raisons.

Lourde tâche que celle de faire revivre Felix Kersten ! L’homme est issu d’une famille allemande installée dans une province estonienne de l’Empire russe, il est devenu finlandais sans vraiment cesser d’être allemand, et les années trente en ont fait un Néerlandais de cœur, avant que la fin de la guerre l’incite à opter pour la nationalité suédoise ; ses Mémoires sont répartis en quatre ouvrages rédigés en autant de langues sur une période de dix ans ; son journal, recherché depuis soixante-quinze ans, n’a finalement jamais existé en tant que tel ; les correspondances, attestations, témoignages, dépositions et enquêtes le concernant sont libellés en allemand, anglais, suédois, danois, norvégien, finnois et néerlandais ; le secret nécessaire au succès de ses entreprises pendant la guerre a persisté dans l’immédiat après-guerre et, à de rares exceptions près, les centaines de milliers de gens qu’il a sauvés n’ont jamais su à qui ils devaient leur salut ; enfin, pour des raisons tenant à l’extrême confusion des derniers mois de la guerre, le nombre même de ces rescapés est pratiquement impossible à évaluer précisément.

Le défi était d’empêcher que ces difficultés se reflètent dans le récit qui va suivre. Comment, par exemple, donner les traductions, expliquer les institutions, exposer les implications, préciser les localisations et faire constamment référence aux péripéties de la guerre alentour ? Les exclure rendrait la narration incompréhensible, mais les inclure la rendrait illisible. Nous avons donc choisi de les mettre en bas de page, où le lecteur pourra les consulter à loisir. Par ailleurs, on verra que ce récit comprend nombre de dialogues rapportés par Kersten, par le général Schellenberg, par le comte Bernadotte, par l’astrologue d’Himmler, par le ministre suédois des Affaires étrangères et par les diverses commissions d’enquête parlementaires d’après-guerre. Comment savoir si ces dialogues sont authentiques, à la virgule près ? Les commissions d’enquête avaient certes des sténographes, mais pour le reste, personne à l’époque n’était équipé de magnétophones portatifs – pas même les espions. Il nous a donc fallu accorder aux acteurs comme aux témoins un minimum de confiance, après avoir croisé les archives, les témoignages, le contexte, la vraisemblance et le bon sens…

Cette stupéfiante excursion dans les sombres dédales du Reich millénaire ouvrira sans doute quelques perspectives nouvelles aux historiens, et rappellera à tous qu’au sommet de ce régime aussi malfaisant qu’éphémère régnaient trois passions : la haine sourde et mortelle que se vouaient entre eux Himmler, Ribbentrop, Goebbels, Bormann, Goering, Hess et Rosenberg – dont a joué constamment Felix Kersten pour assurer le succès de ses entreprises ; le fanatisme aveugle et dépersonnalisant qui les animait tous, sous cette influence démoniaque du Führer qui faisait dire au maréchal Goering : « Je n’ai pas de conscience – ma conscience s’appelle Adolf Hitler » ; la peur, enfin, une peur abjecte qui les dominait en permanence et s’exprimait sans fard dans ces paroles du même Hermann Goering : « Quand j’entre dans le bureau d’Hitler, mon cœur descend invariablement dans mes bottes. »

Enfin, durant ce voyage agité et terriblement dangereux en compagnie du thérapeute Felix Kersten, le lecteur pourra vérifier que l’humour jaillit parfois au milieu des situations les plus tragiques. Certains s’en déclareront offusqués, car il y a maintenant des professionnels de l’indignation ; mais tous les autres passeront outre, en se réjouissant plutôt d’avoir connu un de ces personnages d’exception qui vous réconcilient avec le genre humain.

Autres éditions

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Poche (Mars 2022)
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