Argent sale : la traque

Auteur(s) : Quentin Mugg, Hélène Constanty
Editeur : Fayard

Comment les milliards du crime organisé parviennent-ils à échapper aux contrôles ? Qui sont les hommes de l’ombre qui aident les parrains du trafic de drogue international à blanchir leur fortune ?
Pour démanteler ces réseaux, le capitaine de police Quentin Mugg a mis en application les méthodes de l’enquête criminelle. Filatures, écoutes, sonorisations… pendant plusieurs années, son équipe a remonté le fleuve de l’argent sale. Cette traque a abouti à des saisies spectaculaires. En 2018, 18 millions d’euros d’avoirs criminels et 100 millions d’euros de fraude fiscale ont été confisqués. Un record en France.
Connues sous le nom d’opérations Virus, Rétrovirus, ou encore Cedar, ces enquêtes ont révélé l’existence d’un acteur clé du blanchiment : le saraf. Un personnage puissant et mystérieux, trait d’union entre le monde des trafiquants de drogue et celui de la haute finance internationale. Le chaînon manquant dans la lutte contre le crime organisé.
De Casablanca à Dubai, en passant par Paris, Anvers et Madras, Quentin Mugg dévoile pour la première fois, de l’intérieur, les méthodes employées par son groupe. Il nous entraîne dans les arcanes du blanchiment, où se trouvent reliés, parfois sans même le savoir, trafiquants de drogue, banquiers internationaux, contrebandiers d’or et fraudeurs fiscaux.

Quentin Mugg est policier spécialisé dans la lutte contre le blanchiment d’argent. Ancien de la DST, capitaine de police à l’Office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF) de 2005 à 2015, Quentin Mugg dirige aujourd’hui le groupe de coordination antidrogue à Europol, l’agence européenne de police criminelle. Hélène Constanty est journaliste d’investigation indépendante.

18,00 €
Parution : Janvier 2021
224 pages
ISBN : 978-2-2137-1688-6
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Extrait

Prologue
DE MACDO EN CROCO

« J’ai voyagé dans des mallettes
Dans des fourgons, des tablettes
Dans des jeans ou de la soie
En Jaguar et en Matra… »
Les paroles de la chanson de Bernard Lavilliers, Les Aventures extraordinaires d’un billet de banque, me trottent dans la tête en ce matin ensoleillé du mois de mai 2012. Nous venons d’identifier notre cible, Mustapha. Le voilà qui arrive au volant d’une Peugeot 106 blanche. La trentaine. Le teint hâlé. Il n’attire pas l’attention, sobrement vêtu d’un jean et d’un tee-shirt. Sans ses antécédents judiciaires et avec une blouse grise, il ferait un épicier très crédible.
Depuis quinze jours, nous avons mis la ligne téléphonique de Mustapha sur écoutes. Nous la surveillons jour et nuit et le suivons dans tous ses déplacements, depuis qu’il a collecté 100 000 euros des mains d’un trafiquant de drogue.
Cent mille euros, « une heure » dans le jargon du trafic. Mustapha est ce qu’on appelle un « collecteur ». Et il ne chôme pas. En quinze jours, il a ramassé plusieurs centaines de milliers d’euros. Il en rend compte scrupuleusement, en langage codé, à ses donneurs d’ordres, ce qui nous est bien utile pour faire le compte de ce qui atterrit entre ses mains.
Nous sommes en planque devant un restaurant MacDo de la banlieue nord de Paris. Ma radio grésille. C’est Julien, mon collègue qui écoute les conversations téléphoniques depuis nos bureaux de Nanterre.
— Ça bouge. Mustapha dit qu’il arrive. Le remettant est en scooter. Il est déjà là. Dans le MacDo.
— Bien pris. On filme et on suit Mustapha.

La rencontre est brève. Mustapha gare sa 106. Il entre dans le fast-food et en ressort avec une valise à roulettes. Les deux hommes ont échangé à peine quelques mots. Le trafiquant lui a remis l’argent.
Nous reprenons la filature. Mustapha, seul dans le véhicule, respecte le code de la route. Un bon point pour lui. À 13 heures, il se gare dans une petite rue de Gennevilliers et pénètre dans un immeuble miteux. Le dispositif se positionne au mieux pour surveiller l’immeuble sans se faire trop repérer. Les heures passent. Julien, toujours aux écoutes, est chargé de nous prévenir dès que Mustapha passe un coup de fil ou envoie un SMS. Mais rien.
L’attente est interminable. J’imagine Mustapha, dans son appartement, en train de faire les comptes. Cela relève de sa responsabilité. Combien la valise contenait-elle ? Cent mille euros ? Deux cent mille euros ? Je parie sur 200 000 compte tenu de ses dimensions, composés sans doute d’un mélange de billets de 20 et 50 euros, les plus fréquents. Et je sais d’expérience qu’il faut une heure en moyenne pour compter 100 000 euros.
La réponse tombe aux écoutes. Un SMS de Mustapha vers le numéro marocain de son frère :
— OK. 324.
J’ai perdu. C’est 324 000 euros. Il compte vite. Il a l’habitude.

Nous attendons encore. Mustapha reçoit de nouvelles instructions. Il ressort, jette un petit coup d’œil dans la rue et reprend sa voiture. La filature est facile. Les collecteurs sont moins méfiants que les trafiquants qui les alimentent en billets de banque. C’est paradoxal, car ils transportent le bénéfice final qui récompense tant d’efforts.
Il faut l’admettre, ils craignent plus le vol que l’arrestation, et les foudres de leurs employeurs les terrifient plus que celles de la Justice. Bien qu’attentifs à leur environnement immédiat, ils repèrent rarement une filature policière : la police arrive en bas de la liste de leurs préoccupations.
À 20 h 30, Mustapha récupère encore 239 000 euros à la porte d’Asnières. Collecte, comptage, SMS… La routine. Il rentre à Gennevilliers pour la nuit. Le dispositif de surveillance est levé, nous détenons désormais notre programme pour demain.
Grâce aux écoutes, nous savons qu’il aura rendez-vous dans le XIXe arrondissement de Paris, tôt le matin, avec un autre collecteur qui appartient à un second réseau. Nous ne comprenons pas encore la structure de ce dernier, mais il semble sortir de l’ordinaire, et doit recevoir les fonds réunis aujourd’hui. L’homme avec qui il a rendez-vous répond au nom de Marco.
Mon équipe est sur place avant l’heure de la rencontre. On attend, planqués aux alentours. Romain est dans notre Renault Clio vert bouteille hors d’âge, Jean-Jo et Quentin sont dans une Ford à la carrosserie dorée. Michaël et moi sommes en piétons un peu plus loin. Quant à Julien, il se tient dans le « soum », une fourgonnette banalisée avec des vitres sans tain. Nos voitures de service font de leur mieux pour se fondre dans le décor de ces quartiers populaires. Mais fin mai, il est difficile de compter sur la buée des vitres pour nous masquer aux regards des passants.
L’œil inquiet, Marco est là. Il fait le pied de grue sur le trottoir devant un mur tagué. Il est arrivé trop tôt. Il s’impatiente et s’agite. Il contacte Mustapha par téléphone. On ne voit que lui avec son air de Charlie Chaplin dépenaillé. Il transpire dans son manteau trop chaud pour la saison. Il se retourne en tous sens et ne voit pas son contact arriver à quelques mètres de lui. Mustapha lui tape sur l’épaule. Marco fait volte-face puis part d’un grand rire. Il parle trop fort et trop vite. Marco est stressé. Mustapha semble mal à l’aise et lui remet rapidement un gros sac en plastique, en pleine rue. Marco enfourne le tout dans son sac à dos et les deux hommes se quittent. Trois cent cinquante mille euros en liquide viennent de changer de mains.
Mustapha est soulagé : sa tournée du jour est terminée. Il va toucher sa part pour cette opération. Marco, toujours à pied, s’arrête chez sa sœur. Elle habite à deux pas et travaille dans une école du quartier. C’est chez elle que se trouve le coffre dans lequel Marco va déposer une partie de l’argent. D’ailleurs, elle en voudrait bien un deuxième, le premier est plein. Elle a même pensé à en offrir un à Marco pour son anniversaire. Une fois son affaire terminée, Marco repart en taxi, nous le suivons. Il se fait déposer dans le quartier le plus chic de Paris, avenue Montaigne, une artère aux trottoirs bordés de boutiques de luxe et de grands couturiers.
Notre dispositif de surveillance est au complet, avec nos trois véhicules à ses trousses. Pour être honnête, c’est une précaution inutile, Marco ne nous remarquera pas. Il a la tête ailleurs. Ses lèvres s’agitent, il parle tout seul en remuant les mains, et c’est en grande conversation avec lui-même qu’il franchit la porte d’un immeuble cossu. Inutile de le suivre pour tenter d’identifier un appartement. Nous savons où il se rend : chez un avocat fiscaliste.

Une heure et demie plus tard, Marco ressort, son sac à dos vide aplati sur ses omoplates. Nous restons en planque, au pied de l’immeuble. Il est presque 17 heures quand le cash ressort à son tour, dans un splendide attaché-case en cuir de crocodile noir, à la poignée duquel s’agrippe l’avocat.

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