Mon dictionnaire d'économie
Ce dictionnaire a pour vocation d’offrir des clés de compréhension sur l’économie, loin du discours dominant, pour qu’ensuite chacun puisse se positionner et avoir les arguments pour débattre. Chiffres et exemples à l’appui, écrit dans un style simple avec des pointes d’humour, il permettra à chacun de se forger un point de vue sur les questions, débats et défis économiques contemporains.
L’économie est désormais au cœur du débat politique, au point que les deux domaines se confondent presque. « Comment financez-vous cette mesure ? » ; « Laisserez-vous filer la dette ? » ; « Cette proposition est-elle crédible dans le cadre européen ? » : telles sont quelques-unes des questions qui résonnent sur les plateaux de télévision, à la radio, dans la presse ou sur les réseaux. Mais, avec ses chiffres, ses statistiques et ses théories parfois abstraites, l’économie intimide. De sorte que certains n’osent se prononcer sur ces sujets – et renoncent par là même à se forger une opinion sur des pans entiers de la vie publique.
Quoi de mieux pour y remédier qu’un dictionnaire ? Entrée par entrée, notion par notion, le lecteur pourra progressivement s’y réapproprier les termes d’un débat trop souvent confisqué.
A contre-courant de la pensée dominante, l’auteur y livre ses analyses. Libre à chacun d’y adhérer ou pas. L’essentiel est de relancer la réflexion, voire la controverse, et de permettre à toutes et tous d’y prendre part.
De « Déficit public » à « Planification écologique » en passant par « Homme déconstruit » ou « Argent magique », avec la gravité qui s’impose mais non sans une pointe d’ironie, ce livre offre un tour d’horizon de nombreuses problématiques cruciales pour notre présent et notre avenir.
Un dictionnaire en forme d’acte citoyen.
Membre des Economistes atterrés, docteur en économie de l’Université Panthéon-Sorbonne, Thomas Porcher est professeur à la Paris School of Business.
Extrait
AAA (triple A)
Évaluation produite par des agences de notation. Le triple A fait partie de ce vocabulaire spécifique au monde des banques qui est apparu dans le débat public depuis la crise de 2007, au même titre que « subprime » ou « agences de notation ». Pour le citoyen, il n’était pas toujours facile de s’y retrouver. Le triple A est une appréciation accordée par une agence de notation, dont les trois principales sont Moody’s, Standard & Poor’s et Fitch Ratings. Ces trois grandes agences (qui trustent la quasi-totalité du marché de la notation) ont pour fonction de produire pour la communauté financière des appréciations sur la valeur des titres financiers, privés comme publics. Ces appréciations, positives ou négatives, ne sont pas sans conséquences sur la vie d’un titre. Un produit financier ou un titre de dette souveraine peut se retrouver dans la tourmente s’il passe du triple A aux lettres de déclassement comme le C. Dans ce contexte, pour regagner la faveur des investisseurs en matière de dettes publiques* ou même, de manière préventive, pour éviter la dégradation de leur note, les États mettent souvent en place des mesures d’économies sur les dépenses (sur la santé, les retraites, etc.) ou des réformes structurelles* sur le marché du travail (comme les lois travail en France). Ce fut le cas lors de la crise des dettes souveraines en Europe entre 2011 et 2013, quand les États de la zone euro craignaient que leur note ne soit dégradée et que les taux d’intérêt de leur dette publique ne s’envolent, rendant l’emprunt sur les marchés financiers plus coûteux et le risque de défaut plus prégnant. Le cas de la Grèce a été emblématique. Dès le début de la crise, à l’automne 2009, ce pays était noté A-. Son déclassement rapide vers les bas-fonds du classement de la notation financière a provoqué une envolée du coût du financement de sa dette publique. Le pays a dû mettre en place une cure d’austérité accompagnée de réformes structurelles pour regagner la confiance des marchés.
En janvier 2012, lorsque la France perd son triple A, de nombreux experts ont parlé d’une « catastrophe » et invoqué l’accélération des réformes pour éviter un scénario à la grecque. Mais la situation financière de la France ne s’est pas dégradée. Idem, lorsque les États-Unis ont perdu à leur tour leur triple A. Les pays riches semblent moins sensibles aux notations. En même temps, les notes sont relatives les unes aux autres et même avec une note dégradée, des bons élèves restent toujours en tête du classement. Baisser les notes de la première ou de la sixième puissance mondiale n’empêche pas les acteurs financiers de se tourner vers leurs titres de dettes souveraines qui restent en comparaison beaucoup plus intéressants que ceux de la majorité des pays.
En résumé, le triple A est une notation qui s’inscrit dans la dynamique de l’évaluation permanente de la performance. C’est le jeu de la concurrence qui amène à évaluer tout et n’importe quoi et à en faire ensuite des classements. Comme toute notation, celle-ci dépend des critères du correcteur. Si le correcteur croit en l’autorégulation des marchés financiers, alors il est capable de mettre la meilleure note à des paquets de crédits contenant des subprimes. C’est exactement ce qui s’est passé. La suite, nous la connaissons : c’est la plus grande crise financière depuis celle de 1929.