Les lapins ne mangent pas de carottes

Auteur : Hugo Clément
Editeur : Fayard

"L’image que nous avons des animaux correspond rarement à la réalité. Il nous faut donc déconstruire les représentations et les pratiques que nous perpétuons de génération en génération, malgré nos connaissances scientifiques toujours plus grandes. C’est ce à quoi je souhaite contribuer avec ce livre : informer sur la face cachée de l’exploitation animale, apprendre à cohabiter avec les autres créatures et prendre conscience que nous sommes une espèce parmi d’autres. Pour eux comme pour nous, il y a urgence à changer de regard sur le vivant.".
« L’image que nous avons des animaux correspond rarement à la réalité. Les moutons ? Des suiveurs, sans aucune personnalité. Les porcs ? Ils sont sales. Les loups ? Méchants. Cette vision déformée peut nous conduire à négliger les animaux, à les mépriser, voire à justifier leur exploitation déraisonnée, qui se traduit par la violence et l’injustice.

Il nous faut déconstruire les représentations et les pratiques que nous perpétuons de génération en génération, malgré nos connaissances scientifiques toujours plus grandes. C’est ce à quoi je souhaite contribuer avec ce livre : modifier notre manière de voir le monde qui nous entoure, apprendre à cohabiter avec les autres créatures, et prendre conscience que nous faisons aussi partie du règne animal.

Ce voyage sera passionnant et renversera nombre d’idées reçues. Face à l’effondrement de la biodiversité et à la crise climatique, ouvrir les yeux sur l’ampleur des problèmes que pose le traitement infligé aux animaux est autant une question d’éthique qu’une question de survie. Pour eux comme pour nous, il y a urgence à changer de regard sur le vivant. »

19,00 €
Parution : Septembre 2022
240 pages
ISBN : 978-2-2137-1712-8
Fiche consultée 266 fois

Extrait

« Encore, papa ! »
Jim, deux ans, est assise serrée contre moi sur le canapé. Je viens de refermer le livre, mais, comme à son habitude, elle veut réentendre l’histoire. Alors, je reprends du début. Au fil des pages, on observe ensemble plusieurs dessins d’animaux peuplant la forêt, notamment un lapin, qui tient en main une carotte. Elle l’adore et le pointe systématiquement du doigt en criant « lapin ». C’est d’ailleurs le premier animal dont elle a réussi à prononcer le nom. Peut-être en raison de l’un de ses doudous, un lapin en chiffon. Parfois, au moment du repas, elle le pose sur la table et fait semblant de lui donner à manger. Pour éviter qu’elle ne renverse le contenu de sa cuillère par terre, je l’interromps en lui disant : « Non, il ne mange pas ça, le lapin ! Qu’est-ce qu’il mange ? » La réponse fuse en moins d’une seconde : « Des carottes ! » Souvent prononcé « caquottes ». Je la félicite : « Bravo, ma chérie ! »
Il a toujours été évident pour moi, comme probablement pour vous, que les lapins mangent des carottes. Dans d’innombrables livres pour enfants, publicités ou dessins animés, ce légume les accompagne. Et pourtant, si incroyable que cela puisse paraître, dans la nature, les lapins ne mangent pas de carottes. Je l’ai appris récemment, lors d’une conversation avec l’éditrice Sophie de Closets. J’ai d’abord souri, en y croyant à moitié. Puis je me suis lancé dans des recherches approfondies.
Les lapins sont des herbivores stricts. Contrairement aux croyances, ils ne sont pas des rongeurs, mais ce qu’on appelle des lagomorphes. « À l’état sauvage, leurs congénères se nourrissent une grande partie de la journée d’herbe fraîche séchée au soleil. Ainsi, dans nos foyers, la base de leur alimentation doit être le foin1 », nous apprennent Laëtitia de la Tullaye et Magalie Delobelle. « Les lapins ont besoin de verdure pauvre et longue à manger, complète le naturaliste Pierre Rigaux. Dans la nature, ils mangent rarement des racines, qu’il faut déterrer2. » Or, la carotte est une racine. Les lapins n’en mangent pas. Pire, c’est un aliment mauvais pour eux ! Très sucrées, les carottes peuvent leur causer des problèmes de santé s’ils en consomment trop : obésité, troubles intestinaux, caries… « On peut leur en donner une de temps en temps, comme une friandise, mais pas plus », martèle Magalie Delobelle.
Pauvres lapins, gavés de sucre par des humains persuadés que la carotte constitue la base de leur alimentation. C’est un peu comme si nous nous nourrissions de bonbons ou de barres chocolatées. « Cinq fois sur six, les problèmes de santé que l’on observe chez le lapin sont liés à un mauvais régime alimentaire », estime le porte-parole de l’Association britannique des vétérinaires3. À tel point que la plus importante association anglaise de protection animale, la RSPCA, a dû lancer une campagne de communication pour demander aux propriétaires de lapins d’arrêter de leur donner des carottes.

D’où vient cet immense malentendu ? Pourquoi représente-t-on systématiquement nos amis à grandes oreilles affublés de cet aliment maléfique4 ? Peut-être la confusion vient-elle des fanes de carottes, ces feuilles vertes situées à l’extrémité du légume, qui dépassent du sol quand la racine est sous terre et que les lapins consomment ? Possible. Les jardiniers d’autrefois ont pu observer des lapins grignoter les fanes dans leur potager et en conclure qu’ils aimaient les carottes tout entières.
Une chose est sûre, c’est Bugs Bunny, de la série d’animation Looney Tunes, qui a popularisé l’image du lapin inséparable de sa carotte à travers le monde. Apparu pour la première fois à l’écran en 1938, et sous la forme que nous connaissons en 1940 dans un dessin animé de Tex Avery, le lapin le plus célèbre du monde passe son temps à grignoter une carotte. Pourtant, ce personnage n’est pas inspiré de ses congénères observés dans la nature, mais d’un humain ! En l’occurrence, d’un célèbre acteur américain, Clark Gable, décédé il y a plus de soixante ans. Dans It Happened One Night, un film en noir et blanc sorti en 1934, le comédien interprète le rôle de Peter Warne, un journaliste tombant amoureux de l’héritière d’une grande famille bourgeoise, jouée par Claudette Colbert. L’une des scènes montre les deux protagonistes faire du stop. Le personnage de Clark Gable explique à sa partenaire comment attirer l’attention des automobilistes. Il parle avec un débit rapide et de manière assurée, tout en pelant et en mangeant… une carotte ! C’est dans cette séquence que Friz Freleng, l’un des dessinateurs qui ont participé à la création de Bugs Bunny, aurait trouvé son inspiration pour donner vie au lapin star, It Happened One Night étant l’un de ses films préférés. Bugs Bunny devient vite un succès planétaire et, aujourd’hui encore, le monde entier est convaincu que les lapins se nourrissent de carottes.

Cette anecdote illustre avec légèreté notre rapport aux animaux. Mais elle est aussi très révélatrice. L’image que nous avons d’eux correspond rarement à la réalité. Les moutons ? Des suiveurs, sans aucune personnalité. Les porcs ? Ils sont sales. Les loups ? Méchants. Les poules et les poissons ? Idiots. Quels qu’ils soient, nous les plaçons dans le camp des « autres », de ceux qui ne sont pas humains, de ceux qui ne nous valent pas. Il se crée un décalage entre notre perception de la nature et la réalité. Cette vision déformée peut nous conduire à négliger les animaux, à les mépriser, voire à justifier leur exploitation déraisonnée, qui se traduit par la violence et l’injustice.
Il nous faut donc réapprendre, déconstruire les représentations et les pratiques que nous perpétuons de génération en génération, malgré nos connaissances scientifiques toujours plus grandes. C’est ce à quoi je souhaite contribuer avec ce livre : changer notre manière de voir le monde qui nous entoure, apprendre à cohabiter paisiblement avec les autres créatures et prendre conscience que nous faisons aussi partie du règne animal.
Je vous le promets : ce voyage sera passionnant et renversera nombre d’idées reçues. Ce n’est ni un luxe, ni une perte de temps. Face à l’effondrement de la biodiversité et à la crise climatique, ouvrir les yeux sur l’ampleur des problèmes que pose le traitement infligé aux animaux est autant une question d’éthique qu’une question de survie. Pour eux comme pour nous, il y a urgence à changer de regard sur le vivant.

Informations sur le livre