Cupide

Auteur : Marc Elsberg
Editeur : Fayard

La croissance économique est le moteur de notre société : toujours plus haut, toujours plus vite, toujours plus loin. Est-ce ce qui nous mènera à notre perte ? Sauterons-nous ou essaierons-nous de faire demi-tour ? Avant qu'il ne soit trop tard ...
« Non à la cupidité! » « Plus de justice! » Partout, sur tous les continents et dans toutes les grandes villes, les citoyens se rassemblent pour dénoncer les programmes d'austérité, le chômage de masse et la famine qui menace la population - conséquences d'une énième crise financière qui a mené banques, entreprises et États à la faillite. Les conflits nationaux et internationaux s'enveniment. Et seuls quelques riches sont les gagnants de cette situation.
Au cours d'une rencontre au sommet à Berlin, les dirigeants du monde entier espèrent trouver une solution. Le prix Nobel d'économie Herbert Thompson doit faire un discours qui pourrait changer le cours du monde, car il prétend avoir trouvé la formule grâce à laquelle la prospérité pour tous est possible.
Il n'arrive cependant jamais à la conférence. Victime d'un accident de la route, il meurt sur le coup.
Jan Wutte a tout vu - et s'il veut survivre, il va devoir découvrir la vérité et démasquer les commanditaires de ce meurtre, car ils sont sur ses traces et comptent bien le faire taire.
De son silence dépend leur prospérité. Jusqu'où iront-ils pour satisfaire leur cupidité ? Qui peut les arrêter ?

Traduit de l'allemand par Pierre Malherbet
22,90 €
Parution : Novembre 2021
500 pages
ISBN : 978-2-2137-1782-1
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Extrait

Dana s’essuya la sueur du front. Campée sur sa faux, elle regardait les champs aux reflets mordorés. L’air vibrait de la chaleur estivale. Tout autour d’elle, les corps des autres faucheurs pivotaient et se baissaient à un rythme régulier, perdus dans une mer d’épis. Presque une danse, pensa-t-elle. Lente et précise, une danse de la vie et de la mort, du cycle éternel de la nature. Dans un seul mouvement, une brassée d’épis tombait, les uns sur les autres, tels des fusillés. Ils laissaient des trouées dans le paysage – à la fin de la journée, le champ n’était que courtes tiges sèches pointant dans toutes les directions, comme la barbe sur le visage ridé d’un vieillard. Les gerbes espacées faisaient penser à de petits volcans. Ces délicieuses céréales permettraient à Dana et aux siens de passer l’hiver. Au printemps, les blés pousseraient de nouveau sur le champ de Dana, et avec eux l’avenir, comme c’était le cas depuis des générations.
L’année avait été bonne, la météo clémente. L’hiver froid avait préservé les semences dans la terre et congelé les nuisibles. La douceur du printemps avait fait grandir les pousses qui avaient prospéré sous les pluies généreuses du début de l’été. Elles avaient été épargnées par les intempéries, les maladies ou la grêle. Enfin, l’été chaud et les précipitations propices avaient alloué aux cultures toute l’énergie et la force qu’elles transmettraient à Dana et aux siens sous la forme de pâte, de pain, parfois même d’un gâteau.
Dans le lointain, elle voyait le champ de Bill. Ils y accomplissaient le même ballet. Dana se demanda s’il avait lui aussi fait une bonne année.

Le jour de la pesée était arrivé. Après que les gerbes eurent séché dans les champs, Dana et les siens les rassemblèrent et les apportèrent dans la cour. Pendant le battage, un travail de forçat, ils séparaient le grain de l’épi. Ils le stockaient dans le grenier ; une part serait consommée, l’autre plantée. Ils en mirent une dernière partie en sacs.
Dana attela les bœufs à la charrette et ils convoyèrent les sacs au marché de la ville. Elle était ravie. Avec Ann, Bill, Carl et les autres paysans du village, ils vendraient leur récolte aux plus offrants. Le soir venu, à leur retour, ils feraient une fête, comme tous les ans.
Bill la salua d’un large sourire à la balance des négociants. C’était un gars costaud, aux yeux bleus, à l’épaisse chevelure noire. Il était déjà en train de porter sa récolte sur la grande bascule du marchand.
— Cette année, j’ai une meilleure récolte que toi, dit-il. Meilleure que toutes les vôtres !
Elle haussa les épaules. Ça lui était bien égal. Que sa propre récolte leur permette de passer l’hiver, leur rapporte de quoi envoyer les enfants à l’école et payer les incontournables réparations du logis lui suffisait. Peut-être gagnerait-elle même de quoi acheter une nouvelle vache.
Le négociant pesa son grain.
— Tu as fait une bonne année, lui dit-il en connaisseur. Ta récolte est bien meilleure que celle de Bill.
— On a tous les deux fait une bonne année. Ni nuisibles, ni sécheresse, ni grêle. Et pas d’inondation.
Elle remarqua la déception et l’irritation de Bill. Alors qu’il n’était encore qu’un enfant, il voulait déjà être le meilleur. Il ne cessait de se mesurer aux autres, de vouloir les dépasser. Il ne jouait pas avec, mais contre eux – il lui fallait tout le temps arriver le premier ou finir sur la plus haute marche du podium. Il travaillait la même terre que Dana, aussi riche, avec les mêmes semences. Tous deux disposaient d’une surface équivalente. Ils vivaient sous les mêmes auspices, faisaient face aux mêmes aléas climatiques. Bill était autant besogneux et connaissait aussi bien son métier. C’était en outre un gentil garçon, bien mis de sa personne. Dana le trouvait séduisant, mais son esprit de compétition l’ennuyait. D’autant qu’elle était meilleure que lui.
— C’est incroyable, s’écria-t-il. J’ai travaillé comme un bœuf ! J’ai tout fait comme il fallait ! Et pourtant ta récolte est plus abondante ! Trois ans que ça dure ! Comment est-ce possible ?
Ces hommes meurtris ! Pour un peu, il la traiterait de sorcière.
Peut-être était-il temps de lui révéler son secret, songea Dana.

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