Le tourbillon de la vie
Le temps d’un été, Arthur et son petit-fils rattrapent les années perdues. Plus de 60 ans les séparent, mais ensemble ils vont partager les souvenirs de l’un et les rêves de l’autre.
Le bonheur serait total si Arthur ne portait pas un lourd secret.
Un roman sur le temps qui passe, la transmission et les plaisirs simples qui font le sel de la vie.
Entre émotion, rire et nostalgie, Aurélie Valognes nous touche en plein coeur.
Extrait
Le ciel s’assombrit et, au loin, une ondée efface déjà la ligne d’horizon. Les fins de journée sont orageuses ces temps-ci, les nuages susceptibles. Un rien semble les contrarier. La mer, elle, continue son travail de sape contre le banc de sable, contre la falaise aussi. Inlassablement. Elle sera là demain, quelle que soit l’humeur du ciel ou celle des poissons.
Arthur remet sa chemise et crie :
— Reviens, Louis, tu es tout bleu !
— Encore, Papy, encore, s’il te plaît ! Je nage jusqu’à la bouée !
— Louis, une prochaine fois ! Il commence à faire froid.
À regret, Louis sort de la mer en grelottant et se jette avec force dans les bras de son grand-père, qui lui tend la serviette de plage. Après quelques secondes d’un câlin tout mouillé, Arthur le sèche énergiquement.
Bâti comme un trombone à nœuds, avec ses épaules maigres et ses genoux cagneux, le jeune trublion aux cheveux tout ébouriffés arbore une moue réprobatrice :
— Mais pourquoi tu m’as demandé de sortir ?
— Parce que je t’entendais claquer des dents depuis ma paillasse !
— Même pas vrai, bougonne Louis en s’affalant dans le sable.
— Si, je te jure. Tu vas attraper la mort, un de ces jours...
— Je m’en fiche.
Transi de froid, le jeune garçon regarde avec envie le roulement des vagues qui semble l’appeler encore. À peine séché qu’il aimerait déjà repartir, plonger la tête la première, d’un coup, et se laisser porter par le courant, sur le dos, comme un poisson.
Louis a 8 ans. À cet âge, le passé n’est qu’une virgule, le futur, des points de suspension, et le présent, des interrogations.
— Dis, Papy, elle est jamais fatiguée, la mer, de faire des vagues ?
— Très bonne question, mon petit. On viendra vérifier si elle dort, la nuit.
La plage est quasiment déserte. Les touristes s’enfuient dès que le soleil se cache. À droite, leurs seuls voisins sont des grands-parents, qui surveillent de loin la construction ingénieuse de leurs petits-enfants : un château de sable géant, censé résister à la marée montante.
— Ils ont l’air confortables, leurs fauteuils de plage, à ces grabataires là-bas... fait remarquer le grand-père.
— Pourquoi tu t’en achètes pas un ? s’enthousiasme Louis.
— Ça ne serait pas rentable : je ne vais à la plage qu’avec toi, et je te rappelle que tu ne me laisses pas beaucoup m’asseoir, « Monsieur je saute dans les vagues », « Monsieur je nage hyper-loin ». Et puis, je tiens à rester le fringant senior que tu as devant toi ! déclare-t-il en se relevant avec difficulté de sa natte de plage.
Enfin debout, il demande, fier, les mains sur les hanches :
— Louis, je vais chercher une glace. Je te prends comme d’habitude ?
— Oui, s’il te plaît, Papy !