Le temps découvre la vérité: Actualité du Bernin
En 1646, Le Bernin dessine une esquisse intitulée Le Temps découvre la Vérité. Trois siècles plus tard, Mathieu Terence part à la rencontre de cette œuvre et de son auteur, grand maître de l’art baroque, sculpteur, architecte et peintre italien, dont l’œuvre énergique traverse les siècles pour nous parler d’aujourd’hui.
Ni biographie, ni essai d’art, ce récit composé de courts chapitres retrace, au galop, les soixante-dix ans d’activité du Cavalier pour nous donner à voir et à comprendre la fougue et l’esprit d’un artiste qui célèbre le divin en offrant à toutes et à tous des œuvres ivres de force et de volupté.
Manifeste contre un monde uniforme, hymne à l’exubérance et au courage, carnet de voyage dans le temps, réflexion sur la vérité à l’heure où le règne du Faux ne cesse de s’étendre, ce livre est, aussi, le témoignage d’un retour à la vie après la mort de l’aimée. Profondément singulier, il est tout entier taillé comme une sculpture baroque.
Extrait
Toute création a une histoire. Toute œuvre d’art ou de pensée voit le jour à un moment précis de la vie de son auteur, dans un contexte historique particulier. Ce livre n’échappe pas à la règle.
J’aimais A. depuis sept ans quand elle est morte brutalement pendant le mois de juillet 2017. Cette femme secrète, subtile, était aussi un personnage public dont l’existence privée a été alors dénaturée au profit d’une « version officielle ».
Quelques mois après le drame, j’ai ouvert un compte Instagram. Il s’agissait pour moi d’user d’un moyen d’expression pratique, à même d’apaiser un peu la peine et la colère que me causait le traitement réservé à la réalité de A. et donc, parce qu’elle était aussi philosophe et psychanalyste, à sa pensée de la vérité et de la liberté. Pour entretenir ce compte, j’ai passé en revue des milliers d’images. J’en sélectionnais certaines auxquelles j’ajoutais un commentaire en forme de légende.
Un jour, je suis tombé sur un dessin du Bernin intitulé Le temps découvre la vérité. Ce fut un choc. Face à cette superbe étude sur papier jauni datant de 1646, je me suis soudain revu assis quelques mois plus tôt, dans un bistrot où nous avions nos habitudes A. et moi. J’étais en train d’assurer l’une de ses vieilles connaissances de ma conviction qu’un jour prochain serait rétablie la vérité de A. et de notre amour. Et d’ajouter à voix basse, sur le ton sentencieux qui était alors le mien, « le temps et la vérité sont consubstantiels. L’histoire nous le prouve. Il lui faut du temps, mais la vérité finit toujours par l’emporter. En sciences, en art, en politique, en amour. Cette mystérieuse justice me bouleverse ». Voilà qu’à travers mon écran de smartphone, un génie du XVIIe siècle me confirmait dans cette idée, m’en apportait la splendide démonstration, et m’encourageait par-delà les siècles à tenir bon.
J’ai d’abord voulu écrire un simple texte sur cette esquisse. Et puis, pour être conséquent avec cette idée que toute œuvre a une histoire, je me suis intéressé à celle de cette Vérité dans la vie du Bernin. Pourquoi a-t-il éprouvé le besoin d’illustrer cette pensée de sagesse antique ? Que s’est-il passé pour lui, et à quel moment de son existence, pour qu’il se lance dans ce projet de sculpture ? Et pourquoi cette sculpture est-elle restée inachevée ? Ce texte, qui avait une histoire bien particulière pour moi, traiterait d’une œuvre qui en avait une tout aussi singulière pour le Bernin. De fil en aiguille, je me suis pris de passion pour son œuvre. De cette passion, j’ai fait un livre.
Me lancer dans l’étude du Bernin, de cette pièce, Le temps découvre la vérité, significativement à part dans une œuvre qui me parle si bien, ce fut d’abord revenir à la vie grâce à ce grand vivant, reconnu mais peu connu – aucune biographie en langue française n’existe à ce jour. Écrire sur le Bernin, en me rendant à Rome, c’était renouer avec tout ce qui traverse, indemne, la mort sophistiquée qu’on appelle de nos jours le quotidien. Ce fut aussi l’occasion de retrouver la source et le foyer de cette notion en voie de disparition, la vérité, et de préciser une certaine conception de l’art, de la liberté, de la volupté, liés entre eux comme le feu à la flamme. Cela m’a enfin permis de donner à chacun et à chacune la chance de rencontrer aujourd’hui un champion du Beau, un artiste qu’aimait aussi A. parce qu’il nous plonge savamment dans le torrent de la vie.