Vice
Une femme libre, ça ne paraît pas grand-chose. Mais pour certains, c'est déjà trop. Comme un vice à corriger.
C'est ce que va découvrir Esperanza Running-Wolf, 45 ans, directrice de musée vivant sur la côte Ouest des Etats-Unis, femme indépendante, fraîchement séparée du père de sa fille, lequel s'apprête à devenir procureur général de son Etat. Quand le roman s'ouvre, elle profite de sa liberté retrouvée, sort et couche avec qui elle veut, notamment ce chanteur aux airs de bad boy dont le physique compense le manque de subtilité. Elle vient aussi de rencontrer Nick, un photographe avec qui elle entretient une relation épistolaire et numérique a priori sans ambiguïtés (il est marié et vit à l'autre bout du pays) mais pas moins intense. Seulement les choses vont s'emballer et celle qui pensait tout contrôler va se retrouver en danger : le flirt virtuel devient une histoire d'amour impossible et Nick une obsession pénible ; le bad boy tombe amoureux et se fait menaçant. Et si ce type sympa qui la courtise était finalement le meilleur choix ? L'un d'eux finira par vouloir la faire payer. Mais lequel ? Et pourquoi déjà ?
Comme toujours, Laurent Chalumeau vise juste et tape fort en s'emparant d'un sujet brûlant dans notre société, la place de la femme, sa liberté, pour l'incarner dans un roman mené tambour battant. On y retrouve ce qui fait son succès : un récit à plusieurs fils, une intrigue tendue nette, une langue jubilatoire, des personnages tranchants, du rythme, et une bonne dose de country music, B.O unique de ce roman explosif, tout à la fois thriller psychologique, polar féministe, comédie romantique réaliste et vice ô combien jouissif.
Extrait
“Tu sais quoi ? Je réalise, dans ma vie, je ne me suis encore jamais fait de cow-boy. Un vrai, je veux dire. Les mythos à chapeau, ça, comme tu sais, j’ai eu. Mais cow-boy pour de vrai, pas juste devant le miroir, ça, non.”
C’est la chanson que diffuse la sono du salon où elle est en train de se faire épiler qui l’a fait penser à ça : Willie Nelson et un autre, le nom lui échappe sur le moment, s’y demandent s’il “reste encore de real cowboys. Pas ceux qui reniflent de la cocaïne après la fermeture des beuglants”.
Leslie, esthéticienne devenue “slash/copine” à force de cire tartinée au plus intime, dit, “Ben voilà. Ça te fait un objectif pour la saison”.
“Je vais pas non plus traîner aux abords des marchés aux bestiaux.”
“Tu serais pas la première. En même temps, là, l’autre fois, au rodéo, t’en avais, du cow-boy. Aucun qui t’a draguée ?”
“Si, si. Il y a eu.”
“Et ?”
“Et, chais pas… Chaque fois, un truc, un autre, au final, pas conclu.”
“Alors pardon. Quatre jours à voir des types se faire tèje d’un taureau sans au moins t’en taper un ou deux au passage, tu me diras l’intérêt.”
“Je sais. Mais là, ça n’a pas voulu faire. Le ‘real cowboy’ manque toujours à ma collection.”
Leslie dit, “Note, eux, au moins, en principe, pas besoin de les ‘reviriliser’.”
“Comment ça ?”
“T’as pas lu, ce matin ? A Vegas, là, le stage pour rebooster les mecs émasculés par le ‘pouvoir féministe’.”
Leslie attrape l’édition du jour du quotidien local posée sur la tablette, trouve l’article et le lui tend. “J’ai lu ça, j’ai halluciné.” “Ils ont deux stages. Un pour les filles, un pour les garçons. Dans les deux cas, je te dis pas les malades.” Elle lit. Effectivement. C’est raide : “Des masculinistes proposent une formation payante à des femmes désireuses d’augmenter leur féminité de 500 %… Make women great again… Femmes, récupérez la féminité que les féministes vous ont volée. Refusez le lavage de cerveau féministe qui va contre votre nature biologique.”
“Après, t’as vu les ‘conseils’ ? ‘Porter du rose ou des couleurs féminines, avoir les cheveux longs, porter des talons, se faire épiler.’ Ah ben voilà ! C’est bon pour ton business, ça.”
“Tais-toi. Ça me rend malade. Dans les conseils, il y a ‘ne pas faire d’études car ça fait fuir les mecs’. Je te jure, des cons pareils, t’as envie de dire aux meufs de tout laisser pousser et vive le poil aux pattes et les chattes de guenons.”
“Girl, t’es extrême, là.”
“Ça me foutrait sur la paille, mais juste pour faire chier ces connards.”
Elle lit la suite à haute voix : “‘Les hommes préfèrent les vierges sans dettes et sans tatouages.’ Dettes, donc, meaning ‘prêt étudiant’. Ça n’est pas l’argent, le problème. C’est que la fille aille à la fac. Ah oui mais dis, deux mille dollars, quand même, le ‘séminaire’. Tu saurais me dire quelle meuf va lâcher deux mille thunes pour entendre ces conneries. Vraiment qu’elle soit desperate la pauvre fille.”
“En plus, je sais pas si t’as vu, les ‘experts’, la brochette. Comme si c’était le genre à qui tu rêvais de plaire.”
“Avant l’événement réservé aux femmes, une conférence de trois jours sera organisée dans le but de ‘créer un avenir positif pour les hommes, les garçons et les pères, et détruire l’establishment féministe’.’” Elle ne croit pas ce qu’elle s’entend lire : “‘Le viol est une forme de sexualité naturelle. Regardez les lions… La femme est au service de votre plaisir sexuel, sur Terre pour vous satisfaire. Au lit, elle doit vous obéir…’”
Elle repose le journal pour adopter une position propice à ce que Leslie lui fasse l’arrière. Tout en opérant, Leslie dit : “Tu te demandes, mais putain, mais qu’est-ce qu’on leur a fait ? C’est de les avoir mis au monde qu’ils pardonnent pas ?”
“Dans l’article, t’en as un qui explique : c’est une ‘compensation’. L’orgasme des femmes est plus puissant, donc c’est normal qu’ils soient dédommagés. Les femmes sont initiées à la puissance. Du coup, eux, ils confisquent le pouvoir. C’est tordu ça ou pas ?”
Leslie hausse les épaules et répond à côté. “Note, ça se trouve, pas de regrets à avoir. Peut-être, au pieu, un cow-boy, c’est bourrin.”
“Cowboys are horsey ? Meuf, t’es un baril de rire.”
“Sérieux. Je les vois vigoureux, endurants, mais pas créatifs.”
“Tu ne crois pas plutôt qu’ils savent y faire pour te ficeler et bien rester en selle si tu te mets à ruer ?”
“Après c’est moi qui fais des jeux de mots chelous.”
“Tant qu’ils ne te marquent pas le logo de leur ranch sur la fesse au fer rouge…”
“Girl. Stop it !”
Willie Nelson et, ça y est, ça lui est revenu, Neil Young, Willie et Neil Young, sont en train de conclure et dire que les vrais cow-boys ne disparaîtront jamais. Leslie lui tape la fesse et dit, “Voilà. Toute lisse. Je te laisse te rhabiller”. Ayant dit ça, elle sort de la cabine.
Et donc, pas eu de cow-boy, non, pendant les Frontier Days de Cheyenne, Wyoming.
Mais pas non plus qu’elle n’a croisé personne.
For there has been this guy…