L'année du coq de feu: Journal 2017
« C'était il y a cinq ans. En ce temps-là, on ignorait l'existence des Gilets jaunes et le futur virus qui partirait d'un marché chinois. Allant atteindre l'âge de soixante ans, j'avais décidé de tenir assidument un Journal, en écho à celui que j'avais rédigé deux décennies auparavant, publié sous le titre de Quarante ans. Le diariste est un scrutateur de l'aléa.
Une élection présidentielle se profilait en France, on pouvait supputer que la période serait animée. Cette stimulante sismographie, incluant aussi les agréments de la vie privée, en un temps où l'on pouvait chaque soir jouir des conversations et des spectacles, allait placer la période sous le signe de la surprise. Qui aurait pu imaginer le stupéfiant rodéo qui verrait la marche d'un prétendant encore trentenaire vers l'Elysée ?
C'était l'année chinoise du Coq de Feu. D'expérience, je savais qu'un Journal existe autant par le moment où il est écrit que par celui où il est publié. Le donne-t-on trop tôt, c'est presque une éphéméride. Tel un vin, il gagne à vieillir en fût : le temps est un excellent co-auteur, tant il ajoute de la perspective au révolu. Cinq ans seulement, 2017-2022, ont conféré à l'état du monde une allonge qui, en d'autres époques, eût requis plusieurs décennies. C'est pourquoi cette archive prend tout son sel, en contrepoint d'une nouvelle année électorale. » M.L.
Extrait
Coq-à-l’âne ?
C’était il y a cinq ans. En ce temps-là, on ignorait l’existence des Gilets jaunes et le futur virus qui partirait d’un marché chinois. Allant atteindre l’âge de soixante ans, j’avais décidé de tenir assidûment un Journal, en écho à celui que j’avais rédigé deux décennies auparavant, publié sous le titre de Quarante ans. Le diariste est un scrutateur de l’aléa : par définition, il ne peut savoir en janvier ce que les mois à venir offriront à sa plume.
Une élection présidentielle se profilait en France, on pouvait supputer que la période serait animée. Une année pivot s’il en fut, que j’abordai avec des capteurs ouverts, tous radars enclenchés. Cette stimulante sismographie, incluant aussi les agréments de la vie privée, en un temps où l’on pouvait chaque soir jouir des conversations et des spectacles, allait placer la période sous le signe de la surprise. Qui aurait pu imaginer le stupéfiant rodéo qui verrait la marche d’un prétendant encore trentenaire vers l’Élysée ? Avec appétit, je tentai d’en être un consignateur attentif quoique bien souvent déconcerté.
C’était l’année chinoise du Coq de Feu. Au fil des mois, des strates de temps immédiat furent mises en mots. D’expérience, je savais qu’un Journal existe autant par le moment où il est écrit que par celui où il est publié. Le donne-t-on trop tôt, c’est presque une éphéméride. Tel un vin, il gagne à vieillir en fût : le temps est un excellent coauteur, tant il ajoute de la perspective au révolu. Cinq ans seulement, 2017-2022, ont conféré à l’état du monde une allonge qui, en d’autres époques, eût requis plusieurs décennies. C’est pourquoi, en contrepoint d’une nouvelle année électorale, je déstocke cette petite archive. On pourrait imaginer de traiter une année comme un genre littéraire.
J’ai tenté d’être exact, autant que la contingence du regard le permet. On n’a que la vie que l’on mène. Elle vaut ce qu’elle vaut, relevée parfois par le goût d’être le miroir des autres. Certains reflets se sont brouillés. À relire ces pages, je vois saillir surtout les noms des disparus. Leur hier ne sera pas un demain. Ils me lèguent la tristesse de leur départ. Et la privauté de les avoir connus.