Une simple lettre d'amour: roman
Dans L'amour en fuite, Antoine Doinel, héros de Truffaut, publie un roman intitulé Les salades de l'amour. Je me suis toujours demandé ce qu'il y avait dedans. N'y tenant plus, j'ai fini par l'écrire. Alors ? Dedans ? Que trouvera-t-on ? Un affligeant constat sur ceux qui si souvent prétendent aimer et si souvent en sont incapables : les hommes. Car, comme Doinel, mais souvent pires encore que lui, les hommes sont bel et bien ceux que les femmes, sans oser se l'avouer, subodorent : des lâches, des égoïstes, des menteurs, des infidèles, et des frimeurs. Bref : des salauds.
Extrait
Mon «amour»,
Me voici de retour. J'ai fait bon voyage et je te remercie pour les éprouvantes démarches que tu as effectuées auprès de la banque pendant mon absence. Sans ton intervention, ma carte de crédit ayant été bloquée, je serais probablement encore à New York. Un New York inédit puisque c'eût été un New York à la rue. Encore une occasion ratée ! A trimballer son confort jusqu'aux antipodes, on finit par ne plus voyager vraiment. Il faut saisir le monde par les aisselles, non par les palaces. On perce mieux les mystères de l'univers en finissant clochard dans sa propre venelle que muni de sa carte Visa sur l'Amazone à Belém do Para. Les géographies sont moins exotiques que l'imprévu. Ce ne sont pas les pays qui dépaysent, mais les événements.
L'événement est toujours victorieux du monde. Il trahit les prévisions, assassine les théories. La réalité ne lui résiste jamais. Il a raison, il règne : car il a eu lieu. Et tout ce qui n'a pas eu lieu se tait devant sa prééminence. Tout ce qui a failli avoir lieu cède la place, honteux, rampant, se faisant tout petit. L'événement écrase soudain les hommes de son évidence. En une fraction de seconde, l'événement nous impose ses conditions. Il était impensable, le voici irréversible. Et le voici définitif - et le voici vainqueur de tout. Cet imposteur vient d'arracher d'un seul coup, «t à jamais, toute la légitimité disponible dans l'univers. Quand il est désastre, il est irréparable. Quand il est inimaginable, il a lieu quand même. Ainsi, on s'aime, on rompt - une poignée d'automnes passent : on meurt.
Je ne crois pas à l'amour posthume : ces gens qui s'aiment au Ciel. C'est ici qu'a lieu la série des tourments ; l'amour posthume est légué dans la viande de l'enfant fait, qui porte des gènes autrefois amoureux les uns des autres, des gamètes jadis emmêlés les uns aux autres dans un peu de sueur, de soleil, de sperme, de bleu. Celui qui porte les découragements, les souffrances de notre passage, de notre rumeur dépassée, c'est lui, c'est l'enfant : et son apparition contient, appelle notre disparition. Estuaire de nos nuits, l'enfant, réceptacle de nos épisodes : résumé de nos attirances, resucée de nos sangs. Notre Ciel, c'est l'enfant : nous allons vivre dedans lui, il sera notre seul au-delà. Là-haut, c'est lui. Que restera-t-il de nos vertiges ? Lui. Si l'on recommence, c'est par lui, dans lui. Dans lui infiniment propagés, dans lui absolument propulsés. Dans lui grosso modo recommencés.