Intrigue en Egypte

Auteur : Adrien Goetz
Editeur : Grasset

Voici la cinquième enquête artistique et historique de Pénélope, la pétulante (quoiqu'inquiète) conservatrice de musée, et de Wandrille, éternel pigiste qui n'arrive pas à se prendre au sérieux. En 1799, lors de l'expédition d'Egypte, Bonaparte aurait caché un objet destiné lui permettre de régner sur la France. De nos jours, un cambriolage a lieu à Reims, dans le trésor des sacres des rois, faisant disparaître un anneau égyptien portant le cartouche de Néfertiti qui avait été offert au musée par l'impératrice Eugénie. Pénélope, chargée des collections de bijoux égyptiens au Louvre, est dépêchée de toute urgence sur le site archéologique des ermitages coptes de Baouit. Quel est le lien secret qui unit les Bonaparte et les Bourbon, et dont la clé se trouverait encore au pays des Pharaons ? Erudite et humoristique, cette Intrigue qui, comme les précédentes, nous fait apprendre mille détails de l'histoire de l'Art mêlés à des aventures rocambolesques. Pénélope et Wandrille courent à la recherche de la clef (ou de la bague) de l'affaire, accompagnés de nouveaux personnages tout aussi pittoresques, comme Diane, irrésistible blonde aux yeux verts qui veut épouser Wandrille, ou la présidente du musée du Louvre, qui résiste à des manifestants ayant envahi le département des Antiquités égyptiennes, sans parler d'un médecin médiatique et d'un escroc corse. Nous voici conduits, sur un rythme frénétique, de Paris à l'Egypte, en passant des hauteurs d'Ajacccio. Quel est donc le secret du talisman égyptien de Bonaparte ?

19,50 €
Parution : Octobre 2020
304 pages
ISBN : 978-2-2468-6325-0
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Extrait

Le check-up de Mona Lisa

Paris, mardi 10 avril 2012

Pénélope a posé son manteau sur le tas de vêtements qui s’amoncellent devant le Paradis, des doudounes, des cirés, des lodens, un K-Way, des âmes molles prêtes à être pesées par les archanges : la panoplie des conservateurs, des restaurateurs d’œuvres d’art, des techniciens du Louvre et du Laboratoire de recherche des musées de France par un jour gris du mois d’avril. Le bon Dieu va avoir du mal à reconnaître les siens dans cette grande lessive.
Tintoret a brossé cette esquisse, dédiée aux gloires de l’au-delà, avec brio, dans le soleil de Venise ou de Vérone : un tourbillon d’anges et de corps nus monte en spirale vers le Ciel, où le Christ pose une couronne sur la tête de la Vierge. C’est sa vision du paradis.
Pénélope fixe un instant du regard l’air doré du tableau, ces acrobates et ces nuages, mais cela lui fait mal : sa couronne d’or, elle sent bien qu’elle l’a perdue et trop de souvenirs heureux percent à travers ces éclats de lumière. Elle revoit Wandrille à Venise, dans la grande salle du palais des Doges ; s’ils s’étaient mariés, sur un coup de tête, s’ils avaient eu un enfant, cette année-là, il aurait déjà…
Est-ce qu’un enfant aurait empêché ce nullard de Wandrille de partir, de la repousser, d’un geste brusque, dans les ténèbres extérieures ? Un ange de Tintoret la regarde et lui dit d’arrêter ça tout de suite. Elle se force à sourire et se tourne vers ceux qui l’attendent. Ses collègues, conservateurs au musée du Louvre.
Elle n’est pas tout à fait la dernière, c’est ce que lui a dit, avec un clin d’œil dont elle se serait passée, le jeune chef des pompiers en cochant son nom sur la feuille et en lui donnant son badge. Elle l’a mis sur son pull marin, bien visible, à côté de celui du musée qu’elle porte toujours quand elle va dans les salles le mardi.
Elle aime bien faire des photos des derniers accrochages, des changements dans les vitrines, immortaliser le retour d’une momie de chat ou l’arrivée au son des trompettes de Verdi du cercueil sculpté d’Iroubastetoudjaentchaou qui s’était égaré à l’Opéra de Paris depuis l’époque des premiers triomphes d’Aïda. Des photos qu’elle affiche sur les réseaux sociaux avec cette mention magique : #jourdefermeture, à la plus grande fureur des tricoteuses du service de la communication qui n’ont pas encore de compte Twitter et n’aiment pas du tout que cette petite nouvelle fasse leur travail et le fasse mieux qu’elles.
Avec le hashtag #iroubastetoudjaentchaou elle a connu, dans le milieu égyptologique, un véritable triomphe – qui ne fut guère repris ailleurs. Elle est au Louvre depuis un an, elle frime encore un peu, elle reste « nouvelle » dans la grande maison. Il est question de raccrocher bientôt les tableaux vénitiens de la salle de la Joconde, de monter le Tintoret en second rang, c’est dommage : le Paradis à hauteur d’homme, Pénélope aimait bien.
Aujourd’hui, elle ne montrera aucune photo, à personne ; en a-t-elle envie d’ailleurs ? Le privilège est trop grand. Voir Mona Lisa seule à seule – comme Moïse a vu Yahweh face à face sur le mont Nébo. Sans « mise à distance », sans le cadre, sans la vitre, en tête à tête, en retenant sa respiration.
Pourvu qu’elle ne se mette pas à tousser. Pas de miasmes sur le vernis. A-t-elle même le droit de prendre des photos ? Le dispositif de sécurité est maximal. Devant la pyramide, elle a repéré deux CRS qui ne sont pas là d’habitude, avec leurs armes. Une photo d’elle en train de scruter les rides de la Joconde susciterait trop de jalousies dans les équipes et surtout dans son propre département, les Antiquités égyptiennes. Pour qui se prend-elle ? Elle est à peine arrivée et on la laisse déjà assister à cette étrange cérémonie cultuelle et annuelle, le dévoilement du plus grand des mystères. Éleusis comme ça, tout de suite, à cette petite sotte…
Elle caresse ses deux badges sur son vieux pull breton acheté avec Wandrille à Bénodet : le premier porte « Louvre. Conservateur ». Elle a attendu plus de dix ans pour y arriver, elle est passée par toutes les cases du jeu de l’oie du ministère de la Culture – la tapisserie de Bayeux, Versailles, le Mobilier national… – avant de pouvoir arborer cet insigne orange et noir, avec le logo du plus merveilleux de tous les musées et la photo qui fait prendre vingt ans. Le musée qu’elle aime depuis toujours, depuis sa première visite avec ses parents – première sortie hors de Villefranche-de-Rouergue, elle avait huit ans –, depuis son premier « stage de spécialité » à l’École nationale du patrimoine. Désormais, c’est chez elle.
Elle a atteint son but : la voici au département des Antiquités égyptiennes, nommée à ce poste contre une douzaine de candidats, dont une Allemande redoutable, caricature bardée de fiches, maîtresse de l’art du plan de thèse en dix-sept parties, et une Italienne arriviste et rigolote, plus terrible encore. Elle va s’occuper de l’Égypte tardive : les vestiges de l’époque des successeurs d’Alexandre le Grand, tout ce qui se passe après le suicide de Cléopâtre, les tissus coptes, les portraits du Fayoum, ses amours.
L’autre badge, qu’elle devra rendre au pompier dragueur en sortant – deuxième sourire sans mystère à prévoir, quelle tête à claques –, n’est valable qu’un jour et il ne porte aucune inscription, juste une image : celle de Mona Lisa.

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