Le musée transitoire : Sur 10 Corso Como
En 1990, Carla Sozzani, grande figure de la mode, a fondé 10 Corso Como, espace hybride, entre galerie, boutique, restaurant, librairie, et destination, pour lequel fut créée l'appellation « concept store » ; depuis, 10 Corso Como s'est étendu à Séoul, Pékin, Shanghai, et New York. Le philosophe Emanuele Coccia et le philologue Donatien Grau ont examiné les traits de ce lieu devenu une institution, pour souligner combien il met en mouvement des catégories centrales de notre temps - aussi bien économiques que politiques et culturelles - telles que la mode, le contemporain, ou le « global ». Ils nous invitent à les repenser les unes par rapport aux autres et, par le même biais, à envisager un nouveau rapport, plus fluide, des institutions les unes aux autres - jusqu'à celles qui semblent les plus éloignées, et les plus conflictuelles - telles que la boutique et le musée. Se faisant, ils interrogent notre rapport aux objets et au lieu, fondé sur une forme de sacralité humaine réinventée, hors des limites posées par la destination immédiate des choses.
Vos avis
Gilles Deleuze définissait la philosophie comme « l’activité qui crée les concepts ». Citant cette définition en épigraphe, ce livre en laisse entendre un écho paradoxal, qui résonne dans l’espace d’un « concept store » de Milan, le 10 Corso Como : puisque le commerce crée à son tour des concepts, il s’est transfiguré en philosophie. Loin d’une critique de la marchandisation du monde, les auteurs analysent les conséquences – sur notre expérience des objets, de la ville, de la vie – du modèle de commerce inauguré en 1990 par le 10 Corso Como. Inventé par la célèbre galeriste et journaliste Carla Sozzani, ce lieu pionnier ne serait pas simplement un grand magasin, mais « une vision du monde », une nouvelle forme de musée, voire, écrivent les auteurs, « une création politique – au sens où [il] rappelle aux êtres humains (…) ce que signifie le seul fait de vivre en humains ». D. Z.
Le Monde