Prague Fatale
Quand, en septembre 1941, Bernie Gunther revient du front russe, la capitale du Reich a bien changé. Pénurie, rationnement, couvre-feu, crimes... Berlin rime avec misère et terreur. La découverte d'un cadavre sur une voie de chemin de fer puis l'agression d'une jeune femme précipitent Bernie, affecté au département des homicides de la sinistre Kripo, dans de nouvelles enquêtes criminelles. Invité par le général SS Reinhard Heydrich à le rejoindre à Prague pour démasquer un espion infiltré dans son entourage, Bernie est à peine arrivé qu'un des fidèles du Reichsprotektor de Bohême-Moravie est assassiné. Bernie doit trouver le coupable... et vite, s'il veut sauver sa peau.
Extrait
Extrait du prologue
Lundi 8 et mardi 9 juin 1942
II faisait très beau lorsque, rentrant de Prague en compagnie du SS-Obergruppenführer Reinhard Tristan Eugen Heydrich, le Reichsprotektor de Bohême-Moravie, j'arrivai à la gare d'Anhalt à Berlin. Nous portions tous les deux l'uniforme du SD, mais, contrairement au général, j'avais le pas léger, un air entraînant en tête et le sourire au coeur. J'étais content de retrouver ma ville natale. Je me réjouissais à la perspective de passer une soirée paisible, avec une bonne bouteille de Mackenstedter et quelques Kemal que j'avais prélevées sur les réserves personnelles du bureau de Heydrich au château de Hradschin. Qu'il puisse découvrir ce menu larcin ne m'inquiétait pas le moins du monde. Il n'y avait pas grand-chose qui puisse m'inquiéter. J'étais tout ce que Heydrich n'était pas. J'étais en vie.
D'après la presse berlinoise, le malheureux Reichsprotektor avait été assassiné par une bande de terroristes parachutés en Bohême depuis l'Angleterre. C'était un peu plus compliqué que ça, mais je n'étais pas prêt à en parler. Pas encore. Pas avant longtemps. Peut-être même jamais.
J'ignore ce qu'il est arrivé à l'âme de Heydrich, pour autant qu'il en ait possédé une. Dante Alighieri aurait sans doute pu m'indiquer grosso modo la direction si j'avais été tenté d'aller la rechercher quelque part dans les enfers. En revanche, j'ai une assez bonne idée de ce qu'il est advenu de son corps.
Tout le monde aime les beaux enterrements, et les nazis ne faisaient assurément pas exception, réservant à Heydrich le plus splendide adieu qu'un criminel psychopathe puisse espérer. Ils donnèrent à l'événement une telle ampleur qu'on aurait cru qu'un satrape de l'Empire perse était mort après avoir remporté une grande bataille. De fait, on n'avait rien négligé, mis à part le sacrifice rituel de quelques centaines d'esclaves - encore que, comme un petit village tchèque de mineurs appelé Lidice allait en faire la cruelle expérience, je me trompais sur ce point.
De la gare d'Anhalt, Heydrich fut transporté jusqu'à la salle de conférences du siège de la Gestapo, où six gardes d'honneur en tenue de cérémonie noire veillèrent sur sa dépouille. Pour beaucoup de Berlinois, ce fut l'occasion de chanter : «Ding-Dong ! La sorcière est morte !», tout en se glissant à pas feutrés à l'intérieur du palais Prinz-Albrecht pour jeter un coup d'oeil. Au même titre que d'autres activités semi-dangereuses telles que grimper au sommet de la vieille tour de la radio à Charlottenburg ou rouler sur le bas-côté de la voie express Avus, il était bon de pouvoir dire qu'on l'avait fait.
Sur les ondes ce soir-là, le Führer rendit hommage au défunt, le qualifiant d'«homme au coeur de fer», ce qu'il considérait, je suppose, comme un compliment. Mais, là encore, il est possible que notre méchant Magicien d'Oz ait tout simplement confondu l'Homme en fer-blanc avec le Lion peureux.