A même la peau
Deux meurtres spectaculaires sont perpétrés à Boston à six semaines d'intervalle. Les victimes sont des femmes seules, mutilées, à côté desquelles l'assassin a déposé une rose. L'inspectrice D.D. Warren décèle une similitude entre ces mises en scène macabres et une longue série de meurtres qui a défrayé la chronique à Boston quarante ans plus tôt. Leur auteur, Harry Day, s'est suicidé depuis. Seul recours pour D.D. Warren : se rapprocher de Shana et d'Adeline, les deux filles du tueur. Se pourrait-il qu'il y ait un lien entre elles et les récents crimes ? Peut-on échapper à son destin lorsqu'il est marqué du sceau de la mort ?
Une plongée stupéfiante au coeur d'un enfer familial : Lisa Gardner s'impose définitivement comme une virtuose du thriller psychologique.
Extrait
Prologue
Un bébé dans un berceau, dans un arbre, tout en haut...
Le cadavre n’était plus là, mais l’odeur était restée. d.d. Warren, enquêtrice de la brigade criminelle de boston, le savait d’expérience : ce genre de scène de crime peut puer pendant des semaines, sinon des mois. La police scientifique avait emporté le linge de lit, mais rien à faire, le sang vit sa vie. il avait imbibé le placo, coulé derrière les plinthes, s’était accumulé entre les lames de parquet. Près de cinq litres circulaient autrefois dans les veines de Christine ryan, vingt-huit ans. À présent, la majeure partie imbibait le matelas nu au milieu de cette chambre sinistre et grise.
Se balance au gré du vent...
La demande d’intervention était arrivée peu après neuf heures du matin. Midge roberts, une bonne amie de Christine, s’inquiétait parce que la jeune femme ne répondait ni aux coups frappés à sa porte ni aux textos. Christine était pourtant une fille responsable. Elle n’avait pas de pannes d’oreiller, n’aurait jamais fugué avec un séduisant barman, n’aurait pas attrapé la grippe sans en avertir sa grande complice, qui passait tous les jours la chercher sur les coups de sept heures trente pour qu’elles fassent ensemble le trajet jusqu’à leur cabinet comptable.
Midge avait contacté d’autres amis. Partout, le même son de cloche : pas de nouvelles de Christine depuis le dîner de la veille. Cédant à son instinct, Midge avait fait venir le propriétaire, lequel avait finalement accepté d’ouvrir la porte.
Avant de vomir dans le couloir de l’étage à la suite de sa découverte.
Midge n’était pas montée. Elle était restée dans l’entrée de la petite maison. Comme elle l’avait expliqué à Phil, le coéquipier de d.d., elle savait déjà. d’instinct. sans doute que, même à cette distance, elle avait senti les premiers relents, l’odeur du sang à moitié sec, reconnaissable entre toutes.
Un bébé dans un berceau...
À son arrivée, d.d. avait aussitôt été frappée par le caractère violemment contrasté de la scène. La jeune victime, couchée en étoile sur le lit, fixait le plafond de ses yeux bleus désormais sans vie. Une impression de sérénité se dégageait de son joli visage et ses cheveux châtains mi-longs formaient une masse soyeuse sur l’oreiller d’une blancheur éclatante.
Mais en dessous du cou...
La peau avait été décollée de la chair en fines lanières torsadées. d.d. avait déjà entendu parler de telles atrocités, mais à onze heures du matin ce jour-là, elle avait eu l’occasion de voir de ses propres yeux une jeune femme écorchée dans son lit. Une bouteille de champagne posée sur la table de chevet et une rose rouge en travers de l’abdomen sanglant.
À côté de la bouteille, Phil avait trouvé une paire de menottes. de celles qu’on peut se procurer dans les sex-shops haut de gamme, avec de la fourrure pour le confort. Entre ces menottes, le vin mousseux, la rose rouge...
Un rendez-vous galant qui avait mal tourné : c’était la théorie de Phil. Ou, vu le degré de violence, l’ultime vengeance d’un amant éconduit. Christine avait rompu avec un triste sire et celui-ci était revenu la veille au soir, histoire de montrer une fois pour toutes qui était le chef.
Mais d.d. n’était pas convaincue. Certes, il y avait des menottes, mais pas aux poignets de la victime. Oui, il y avait une bouteille de champagne débouchée, mais les flûtes étaient propres. Enfin, d’accord, il y avait la rose, mais sans emballage-cadeau du fleuriste.
L’ensemble lui semblait trop... prémédité. il ne s’agissait ni d’un crime passionnel ni d’une brouille entre adultes consentants. Plutôt d’une mise en scène soigneusement calculée et dont la conception et la préparation avaient dû exiger des mois, des années, peut-être même toute une vie.
Pour d.d., ils n’avaient pas sous les yeux une simple scène de crime, mais le plus intime et le plus ignoble des fantasmes d’un tueur.
Et même si c’était le premier homicide de ce genre sur lequel ils enquêtaient, il y avait de fortes chances qu’un crime obéissant à un rituel aussi précis ne soit que le début d’une longue série.
L’équipe de d.d., les techniciens de scènes de crime, les services du légiste et une armée d’enquêteurs divers avaient travaillé sur place pendant six heures. ils avaient procédé aux constatations et aux relevés d’empreintes, tracé des diagrammes et débattu jusqu’à la tombée de la nuit – heure à laquelle les esprits s’échauffent et où les bonnes gens rentrent dîner chez eux. En sa qualité de directrice d’enquête, d.d. avait finalement renvoyé chacun avec instruction de reprendre des forces. demain était un autre jour : ils pourraient interroger les bases de données fédérales pour savoir si d’autres meurtres correspondaient à ce descriptif, établir le profil psychologique de la victime et du tueur. beaucoup de pain sur la planche, de nombreuses pistes à explorer. En attendant, ordre d’aller se reposer.
Tout le monde avait obtempéré. sauf d.d., naturellement.
il serait bientôt vingt-deux heures. Elle aurait dû rentrer chez elle, embrasser son mari, jeter un coup d’œil à son fils de trois ans, déjà couché à cette heure tardive. se préparer pour une bonne nuit de sommeil au lieu de traîner sur une scène de crime, toutes lumières éteintes, avec la comptine préférée de son bout de chou dans la tête.
Mais elle n’arrivait pas à s’y résoudre. Un mystérieux instinct (le flair?) l’avait ramenée dans cette maison trop tranquille. ses collègues et elle avaient passé le plus clair de la journée à discuter du spectacle qui s’offrait à leurs yeux. désormais, postée dans le noir au milieu d’une chambre où flottaient des effluves de sang, elle guettait les informations que ses autres sens pourraient lui apporter.
Un bébé dans un berceau...
Christine ryan était déjà morte quand l’assassin avait pratiqué la première incision. d’où l’absence d’expression torturée sur son visage pâle. La victime avait connu une fin relativement douce. Et tandis que son cœur émettait ses ultimes battements, le tueur avait donné un premier coup de lame vertical dans son flanc droit.
L’objectif de ce meurtre n’était donc pas de faire souffrir, plutôt...
sa mise en scène? La composition du tableau? Le rituel lui-même ? Leur assassin était animé par le besoin compulsif d’écorcher sa victime. Peut-être avait-il commencé dès l’enfance sur de petites bêtes, des animaux de compagnie, et quand, par la suite, le fantasme avait refusé de lâcher prise...
Le légiste chercherait d’éventuels signes d’hésitation (si toutefois il était possible d’examiner la régularité des découpes dans ce monceau de fines guirlandes de peau), ainsi que des preuves d’agression sexuelle.
Mais là encore, d.d. n’arrivait pas à se défaire d’un sentiment de malaise. Ces éléments étaient ceux qui se présentaient au regard de l’enquêteur. Or, en son for intérieur, d.d. soupçonnait déjà qu’il s’agissait d’une fausse piste. Justement celle sur laquelle le tueur voulait les lancer.
se précisa alors l’idée qui lui trottait dans la tête, cette question essentielle qui méritait réflexion et qui l’avait conduite à se retrouver là, dans le noir : pourquoi une mise en scène ?