La Nonne et le brigand

Auteur : Frédérique Deghelt
Editeur : Le Livre de Poche

En reposant le recueil, elle effleura une couverture de cuir, crut d'abord qu'il s'agissait d'un carnet de correspondance mais ne put s'empêcher de l'ouvrir. C'était l'emballage d'un cahier dont les pages étaient couvertes d'une petite écriture ronde presque enfantine. Je ne savais pas ce que c'était l'amour, je ne savais rien de ce qui nourrit et dévaste, alors sans ce savoir je n'étais qu'une petite chose lancée sur les routes et sans arme pour affronter la vie. Il n'y avait que cette phrase sur la première page, écrite à l'encre bleue, presque délavée. Lysange eut comme le sentiment que ces phrases s'adressaient directement à elle et cela lui ôta tout scrupule pour commencer à lire ce qui avait tout l'air d'être un journal de bord. F. D.

7,10 €
Parution : Février 2015
Format: Poche
336 pages
ISBN : 978-2-2531-8288-7
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Extrait

POURQUOI je n'arrive pas à détester ces moments où l'on attend dans les aéroports ou les gares ? Il s'installe une sorte de nappe floue, un temps infini passé à regarder les autres, à imaginer leurs vies, à faire naître des rencontres entre ceux qui n'auraient pas dû se croiser, à inventer des histoires là où il n'y a rien. Deviner cet homme-là justement, qui ne regarde pas cette femme seule assise un peu plus loin ; il va la retrouver alors qu'il voyage auprès d'une autre qui ne se doute de rien. Je le sais d'instinct, ils ne se sont pas regardés, ils se frôleront en se dirigeant vers l'embarquement comme dans une ultime provocation. Ils ne se diront rien quand leurs doigts...
"Dernier appel pour le vol de Londres. Mme Kenny est demandée à la porte 23." Quelle idiote. Je n'ai même pas surveillé mon propre embarquement. Je me précipite vers la jeune femme au micro. Madame Kenny ? Oui pardon, je n'avais pas entendu. Ce n'est pas grave, madame. Bon voyage. Oui, merci.
Et si je laissais arriver ce que je sens ? Je crois que ce qui me fait peur reviendrait. Les hasards se font pressants, ils entourent leur proie, ils tissent leur toile. Ils coursent la pensée. Où qu'elle aille.
22 A, vous êtes à côté du hublot. Voulez-vous que je vous aide à placer votre sac ? Non je vais le garder, merci. Placez-le sous le siège pendant le décollage, s'il vous plaît.
Une fois seulement, je crois avoir vécu une urgence d'amour quand la mort était trop proche et gagnait du terrain. Elle courait. Plus vite que moi. Je sentais son odeur, amère, presque sucrée, faire illusion. Elle venait me voler un être cher, le premier de ma vie. Elle me frôlait donc, pour que je me souvienne d'elle à tout instant. Je savais que le seul parfum capable de la combattre était la sève d'un homme. Je voulais la lécher, la boire, la mettre sur mes lèvres pour que jamais la mort ne puisse m'embrasser, passer la barrière de mes dents, pénétrer mon corps. Je voulais sentir les vibrations de l'amour qui me semblaient les seules aptes à me protéger de son gouffre.

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