Luna

Auteur : Serena Giuliano
Editeur : Le Livre de Poche

« J'attrape ma valise et me dirige vers ce qui était autrefois ma chambre. J'ouvre les volets : il y a le balcon, puis la mer, le Vésuve, et toute la baie. Je me retrouve face à mon enfance et à mes souvenirs. ».
Luna arrive à Naples contre son gré : son père est gravement malade. Rien, ici, ne lui a manqué. Ses repères, ses amies, son amour sont désormais à Milan. Alors pourquoi revenir ? Pourquoi être au chevet de son papà, au passé trouble, et avec lequel elle a coupé les ponts ?
Mais Napoli est là, sous ses yeux : ses ruelles animées et sales, ses habitants souriants et intrusifs, sa pizza fritta, délicieuse et tellement grasse, son Vésuve, beau et menaçant...
Est-il seulement possible de trouver la paix dans une ville si contrastée ? Et si ce retour aux sources sonnait finalement l'heure de l'apaisement ?

7,70 €
Parution : Mars 2022
Format: Poche
256 pages
ISBN : 978-2-2532-6263-3
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Extrait

Je n’étais pas rentrée à Naples depuis sept ans.
Un refus catégorique de remettre les pieds dans la merde.
Dès la descente de l’avion, je réalise combien cette ville ne m’a pas manqué. Je suis immédiatement agressée par le bruit, les Napolitains indisciplinés, au mieux beaucoup trop familiers, au pire carrément grossiers. Devant l’aéroport, deux hommes ont déjà tenté de me vendre des chaussettes.
Je suis là depuis trente secondes, je n’ai même pas encore eu le temps de me dégourdir les jambes, et des types veulent me vendre des chaussettes !
Je les rembarre d’un geste de la main et d’un regard noir. J’ai évidemment droit à un « Oh, là, là, susceptible la signorina ! ». Mais qui, en sortant d’un avion en plein mois de mai et sous vingt-cinq degrés, se dit «Tiens, il me faut absolument des chaussettes»? Changez de business, les mecs ! Au vu de ce qui m’attend, là, tout de suite, la seule chose dont j’ai besoin, c’est d’un shot de grappa.
Je grimpe dans le premier taxi de la file.
— Ospedale del Mare, s’il vous plaît.
Je sais que c’est une erreur, mais je n’ai pas vraiment
le choix. Il ne faut jamais dire à un Napolitain que tu dois te rendre à l’hôpital. Jamais !...
L’homme doit avoir une soixantaine d’années. Il se retourne, l’air sincèrement inquiet, et finit par me questionner.
— Oh, mon Dieu, tu vas à l’hôpital, ma fille ? Tu es malade? Quelqu’un de ta famille est malade? Je suis désolé, je prierai le Seigneur pour toi, je prierai San Gennaro. Tu veux manger quelque chose ? On peut s’arrêter à la pâtisserie de ma femme, si tu veux ; c’est sur le chemin. Elle fait des sfogliatelle à tomber par terre. Tu guéris de tout, avec ça !
Le vouvoiement, ici, c’est comme la banquette arrière : on s’assied dessus.
Je mets fin à la conversation – enfin, au monologue – un peu fraîchement :
«Non merci. Veuillez démarrer, je suis pressée, allons-y ! »
J’ai le nez dans mon portable et mes écouteurs vissés aux oreilles, pour dissuader mon chauffeur de tout nouvel interrogatoire. Le trajet ne devrait pas être long. Mon cœur commence à s’emballer. J’augmente le volume de la musique pour couvrir celui de ma peur. Ça ne fonctionne pas vraiment.
J’ouvre un peu la fenêtre ; on étouffe dans ce taxi.
— Tu vas prendre froid, signurì. La chaleur du printemps est un leurre, il faut se méfier. Moi, je dis ça pour toi, hein. Déjà que tu es malade... Il faudrait pas rajouter une bronchite là-dessus. Moi, je mets une petite laine jusqu’en juin et, grâce à ça, jamais un rhume, rien !
Mais ce n’est pas possible, je suis maudite ! J’ouvre plus grand en défiant mon chauffeur du regard par le rétroviseur. Il sourit. Ici, jamais ils ne regardent la route, en fait ?
— Toi, tu es milanaise, c’est certain. Je me trompe jamais ! Tu n’es pas de Naples, ça se voit.
Meilleur compliment.
— C’est pas grave, signurì. Personne n’est parfait, tu sais.
« Hôpital de la mer »... Ce nom fait presque rêver ; on pourrait penser qu’on y soigne des dauphins. Mais le silence qui pèse dans le service de neurochirurgie ne présage rien de cet ordre. C’est à croire que l’on chuchote de peur de se faire prendre par la mort. Cela ressemble à une partie de cache-cache qui n’aurait rien de drôle. Il n’y a bien que la Faucheuse pour réussir à faire baisser d’un ton un Napolitain.
Je suis devant la porte 217 depuis plusieurs minutes, sans trouver le courage de la pousser.
— Elle ne va pas s’ouvrir toute seule...
L’infirmière me sourit, d’un vrai sourire bienveillant, puis elle s’éloigne. J’inspire un grand coup, et je plonge. Tête la première.

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