La danse des neuf

Auteur : Kate Sedley
Editeur : 10/18

En cette fin d'hiver brumeuse de 1478, Roger le colporteur reprend la route de Bristol où l'attend sa petite famille. Mais une erreur de parcours l'entraîne jusque dans le village reculé de Lower Brockhurst, à la rencontre d'un nouveau mystère. Une jeune femme à la réputation sulfureuse, Eris Lilywhite, a brutalement disparu quelques mois auparavant, après avoir quitté son fiancé d'une façon pour le moins spectaculaire. Celui-ci est le premier à être suspecté. Mais pour l'intrépide Roger, chargé d'enquêter à la demande de la famille, les réponses trop évidentes ne sont pas forcément les bonnes. Ses recherches vont le mener dans les eaux troubles des haines séculaires et des secrets les mieux gardés du village, au cœur d'obscures superstitions...

7,50 €
Parution : Juillet 2007
Format: Poche
285 pages
ISBN : 978-2-2640-4567-6
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Extrait

Je suppose que cela fait partie de l'humaine nature de se sentir coupable, en certaines occasions ; et cela s'applique en particulier aux hommes ayant femme et enfants, qui, comme moi, chérissent leur indépendance et désirent échapper, de temps à autre, aux liens familiaux. (Du moins, en mes jeunes années. Le vieillard que je suis à présent doit se soumettre, quoique de mauvaise grâce, à la tyrannie mesquine de ses enfants ; ma fille, surtout, persistant à me traiter comme un de ses rejetons, malgré mes soixante-dix ans bien sonnés. La sotte !)
Certes, après un automne et un début d'hiver d'intense activité domestique, j'étais fin prêt, sitôt passé la Noël de cette année 1478, à reprendre ma balle de colporteur et à m'en aller par les routes, dans la solitude et le silence que seul peut offrir un paysage hivernal. Avant même que l'on ait célébré les offices, que les chanteurs aient entonné leurs cantiques de porte en porte, que le petit Evêque' ait prêché son sermon et remisé sa mitre pour une nouvelle année, je ne rêvais que de fougères détrempées s'écrasant sous mes pas, de bouleaux aux troncs dépouillés, hauts et droits à tra­vers leur enchevêtrement de brindilles violacées, et d'herbe gelée sous la brume matinale...
Par bonheur pour moi, mon Adela était la plus compréhensive des épouses ; il était rare qu'elle exigeât trop de mon temps ou qu'elle mît ma patience à rude épreuve. À la mi-janvier, elle savait que je rongeais mon frein. Certes, elle aurait pu arguer qu'avec trois jeunes enfants, dont un bébé de six mois - sans oublier le sac à puces qui nous avait adoptés, s'instituant chien de la maison -, elle aussi atteignait les limites de l'endurance. Pourtant elle n'en fit rien. La Vierge seule sait pourquoi ! Adela n'était pas une sainte, tant s'en faut, mais son amour lui inspirait, envers mon compor­tement rustre et égoïste, une indulgence imméritée dont je profitais sans vergogne.
Nos deux aînés, Nicholas et Elizabeth, âgés de qua­tre ans, avaient à peine un mois de différence. Ce phé­nomène singulier est aisé à expliquer. Nick est le fils d'Adela par son premier époux, Owen Juett, tandis que Bess est la fille de ma première femme, Lillis Walker. Le bébé, Adam, est né le dernier jour de juin, un an après notre mariage. Son demi-frère et sa demi-soeur, très attachés l'un à l'autre, n'avaient pas vu cette intru­sion d'un bon oeil et lui avaient marqué quelque temps une profonde rancoeur. Mais ils s'étaient désormais rési­gnés à sa présence et condescendaient même, à l'occa­sion, à l'amuser. Non, ces six derniers mois n'avaient pas été faciles.
Pour corser les choses, de surcroît, j'avais hérité d'une maison ; une demeure de gentilhomme sur Small Street, à Bristol, où nous vivions. Auparavant, notre logis consistait en un cottage d'une seule pièce, sis hors de l'enceinte de la ville, que nous louions au prieuré de St James à Lewin's Mead. La manière dont j'entrai en possession de cette nouvelle demeure est une autre histoire, sur laquelle je ne m'étendrai pas ici. Disons seulement que ce qui semblait, au début, la réponse à une prière se révéla être un cadeau un peu empoisonné. Le ressentiment de maints d'entre nos anciens amis, face à cette chance singulière, était fla­grant. Qu'un simple colporteur, issu d'une humble famille de la petite ville de Wells dans le Somerset - car il n'avait pas même la politesse ou le bon sens d'être natif de Bristol -, devînt propriétaire d'une résidence à un étage, pourvue d'une cour et de lieux d'aisances, voilà qui était dur à digérer, et la bile les étouffait. Ils enviaient depuis longtemps le fait que, ayant été formé pour entrer dans les ordres avant de rejeter la vie monastique, je fusse à même de lire et d'écrire. Et voilà que j'allais vivre dans l'opulence.
Du moins, c'était leur façon d'envisager mon avenir !
De leur côté, nos nouveaux voisins de Small Street, rongés d'amertume, grillaient de voir quelle porcherie nous ferions de notre foyer. Celui-ci se composait d'une belle salle, d'une pièce aux dimensions plus inti­mes, d'un office, d'une dépense, d'une cuisine et de trois chambres. Il était impossible, se disaient-ils, que nous possédions assez de meubles pour le rendre un tant soit peu confortable. Ce que nul ne savait, c'était qu'après la dernière faveur que j'avais rendue au duc de Gloucester - ou, selon l'expression de Timothy Plummer, la dernière commission accomplie pour Sa Grâce -, le prince Richard m'avait remis deux pièces d'or pour ma peine. Elles se révélèrent plus que suffi­santes pour meubler la maison de façon convenable, sinon luxueuse, et une fois de plus, mes détracteurs durent déchanter. Ils ne se rendaient pas compte qu'à l'avenir je devrais travailler deux fois plus pour nous assurer le train de vie auquel nous nous étions accou­tumés très vite, et bien trop facilement.

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