Les hirondelles de Kaboul
Dans le Kaboul de l’an 2000, alors que les talibans font régner sur l’Afghanistan un régime atroce, quatre personnages inoubliables :
Il y a Mohsen, qui descend d’une famille de commerçants prospères que les talibans ont ruinée ; Zuneira, sa femme, sublimement belle, qui fut une enseignante brillante et qui n’a plus le droit de sortir de chez elle… Ils survivent dans des conditions morales et matérielles abominables, soutenus par l’amour qu’ils se portent et le respect qu’ils doivent à l’intelligence et à la connaissance.
Il y a aussi Atiq, qui a sincèrement adhéré à l’idéologie des talibans et qui tente d’assurer son service à la prison de Kaboul dans le respect de sa foi. Mais chaque jour est une épreuve terrible où tout ce qu’il voit et tout ce qu’on l’oblige à faire sont contraires à tout ce qu’il croit. Il y a enfin Mussarat, sa femme, qui se meurt de maladie et de désespoir.
Un geste atroce… et l’acte d’amour désespéré d’une de ces femmes qu’on appelle les « hirondelles de Kaboul ».
Désespéré, oisif, exténué, Mohsen erre dans Kaboul quand il est entouré par une foule qui s’apprête à lapider une femme adultère. Comme anesthésié par l’atmosphère hystérique qui le cerne, Mohsen va, lui aussi, balancer de toutes ses forces quelques pierres au visage de la femme enterrée jusqu’à la taille. Ce geste insensé va faire basculer le destin de tous les protagonistes dans la tragédie… jusqu’au sacrifice ultime – et vain – de Mussarat, cette femme qui donnera sa vie pour permettre à l’homme qu’elle aime de retrouver sa capacité d’aimer.
Un roman éblouissant par l’un des connaisseurs les plus lucides de la mentalité des intégristes musulmans.
Rarement un écrivain a su mettre au jour avec autant de clarté et de lucidité la complexité des comportements et des situations dans les sociétés musulmanes déchirées entre le féodalisme et la modernité. Yasmina Khadra réussit dans ce roman à peindre cette réalité de l’intérieur.
Extrait
Le mollah lève une main majestueuse pour apaiser le hurleur. Après la récitation dun verset coranique, il lit quelque chose qui ressemble à une sentence, remet la feuille de papier dans une poche intérieure de son gilet et, au bout dune brève méditation, il invite la foule à sarmer de pierres. Cest le signal. Dans une ruée indescriptible, les gens se jettent sur les monceaux de cailloux que lon avait intentionnellement disposés sur la place quelques heures plus tôt. Aussitôt, un déluge de projectiles sabat sur la suppliciée qui, bâillonnée, vibre sous la furie des impacts sans un cri. Mohsen ramasse trois pierres et les lance sur la cible. Les deux premières faillissent à cause de la frénésie alentour mais, à la troisième tentative, il atteint la victime en pleine tête et voit, avec une insondable jubilation, une tache rouge éclore à lendroit où il la touchée. Au bout dune minute, ensanglantée et brisée, la suppliciée sécroule et ne bouge plus. Sa raideur galvanise davantage les lapideurs qui, les yeux révulsés et la bouche salivante, redoublent de férocité comme sils cherchaient à la ressusciter pour prolonger son supplice. Dans leur hystérie collective, persuadés dexorciser leurs démons à travers ceux du succube, daucuns ne se rendent pas compte que le corps criblé de partout ne répond plus aux agressions, que la femme immolée gît sans vie, à moitié ensevelie, tel un sac dhorreur jeté aux vautours.