Tais-toi et meurs
Quittant le Congo, Julien Makambo arrive en France sous le nom de José Montfort. Il est accueilli à Paris par Pedro, figure de proue du milieu congolais de la capitale. " Sapeur " à la pointe des tendances et " homme d'affaires " au bras long, Pedro prend Julien sous son aile et l'initie au monde des combines souterraines. Les affaires tournent, Julien a la vie belle et festive... jusqu'à ce vendredi 13 maudit, où il se retrouve malgré lui mêlé à la défenestration d'une jeune femme. En prison, il écrit son histoire, celle d'un jeune homme confronté à son destin : Makambo en lingala signifie " les ennuis". Et face aux ennuis, une règle d'or règne ici en maître : Tais-toi et meurs.
Extrait
Appelez-moi «José Mon fort»
Je m'appelle Julien Makambo. Pendant les semaines qui ont suivi mon arrestation, et même bien avant, lorsque j'étais encore en cavale, ma tronche et mon autre nom, José Montfort, ont occupé la une de la plupart des journaux de France et de Navarre. Dans notre langue du Congo-Brazzaville, le lingala, Makambo signifie «les ennuis». J'ignore ce qui avait piqué mes parents pour m'attribuer un tel nom qui n'est d'ailleurs pas celui de mon défunt père, encore moins celui d'un proche de la famille. Je suis maintenant convaincu que le nom qu'on porte a une incidence sur notre destin. Si ce vendredi 13 je ne m'étais pas rendu au restaurant L'Ambassade avec Pedro pour rencontrer celui qu'il qualifiait alors de «type très important» venu de Brazzaville, je ne serais peut-être pas en détention provisoire depuis un an et demi dans cette cellule de Fresnes. Mais voilà, lorsqu'on s'appelle Makambo les choses ne sont pas aussi simples.
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Quand on vient me tirer de la cellule pour les interrogatoires devant le juge d'instruction ou pour les entretiens avec mon avocat commis d'office, j'ai presque envie de demander aux gardiens pourquoi ils sont aussi nombreux à m'entourer, comme si j'étais ce célèbre Guy Georges, le meurtrier qui sévissait dans l'Est de Paris, qui violait, puis tuait certaines femmes dans les parkings. Je ne suis pas non plus un de ces tueurs en série qu'on voit dans les films américains et qui sont emprisonnés à AJcatraz. Ceux-là sont surveillés sept jours sur sept, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, et on ne les libère jamais, pas question de les voir recommencer leur entreprise maléfique de destruction du genre humain - ce que d'ailleurs ce Guy Georges faisait chaque fois qu'il sortait de prison. Je cite ce nom parce qu'un détenu d'une des cellules du fond du couloir m'a laissé entendre un jour que je ressemblais à ce criminel et qu'avec ma tête «bizarre» - je reprends son mot -même un aveugle dirait sans risque de se tromper que je suis un tueur-né, un tueur de la trempe de ceux qu'on voit dans les fdms. Des propos de ce genre m'horripilent évidemment. Les gens sont trop influencés par le cinéma et ignorent qu'en général, dans ces fictions, on prend un fait divers qui a marqué le pays, on tire sur les ficelles, on ajoute de la musique pour l'ambiance, et on nous montre une famille de classe moyenne dans un quartier tranquille avec des enfants aussi beaux que les nôtres. Dans un flash-back en noir et blanc, on nous apprend que le criminel en question a eu une enfance difficile, qu'il a commencé par dépecer les rats et les écureuils dans le jardin de ses parents avant de transposer ses pulsions criminelles sur la société. Ce vilain personnage de cinéma s'introduit par l'arrière de la résidence, il entre dans le salon pendant que la famille dort profondément et se livre à un carnage avec une froideur de robot bien programmé. Après sa besogne, il disparaît, mais reprend vite son activité diabolique dans un autre quartier, laissant aux policiers désemparés quelques indices qu'on n'arrivera à recouper que quelques mois, voire quelques années plus tard.
Moi je ne suis pas de ce monde-là. Ma vie n'est pas une fiction, et mon histoire relève bien de la réalité.
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