Haine
Dernier opus des enquêtes de Vik et Stubo.
Veille de Noël, 2008.
Yngvar Stubo, inspecteur en chef, est envoyé à Bergen pour enquêter sur l'assassinat de l'évêque local.
Restée à Oslo, sa femme Vik, psychologue et criminologue, doit résoudre une série de meurtres des plus mystérieux. Alors que les cadavres se multiplient, elle réalise bientôt que ces morts ne sont pas sans lien et obéissent à une chronologie macabre.
La traque désespérée des meurtriers commence. Si on ne les arrête pas, trois nouveaux crimes auront lieu avant la fin janvier. Puis février. Puis mars…
"Haine" aborde la religion, les droits de l'homme et l'amour avec audace. En pimentant son livre de critiques politiques, Anne Holt renouvelle le genre du roman policier, pour dépeindre une société minée par la corruption. Et elle sait de quoi elle parle puisqu'elle a été tour à tour inspectrice de police, reporter, avocate et ministre de la justice.
Extrait
L'enfant invisible
C'était la vingtième nuit de décembre. L'un de ces samedis soirs si faussement prometteurs avait glissé en douce vers le dernier dimanche de l'avent. Les gens vadrouillaient toujours entre les restaurants et les bars, tout en maudissant les violentes chutes de neige qui avaient attaqué Oslo à l'improviste quelques heures plus tôt. La température avait ensuite grimpé à trois degrés au-dessus de zéro, et tout ce qui restait de cette ambiance de Noël, c'étaient une boue grise sur des plaques de verglas et des lacs de neige fondue.
Une enfant se tenait immobile au milieu de Stortingsgaten.
Elle était pieds nus.
«Quand les nuits rallongent, chantait-elle à mi-voix, et quand le froid s'installe...»
Sa chemise de nuit était jaune clair, ornée de coccinelles sur la poitrine. Les jambes qui dépassaient sous le vêtement étaient fines comme des baguettes chinoises, les pieds plantés dans la neige fondante. Cette enfant fluette et à moitié nue avait si peu sa place dans le tableau urbain nocturne que personne ne l'avait encore remarquée. La saison des réceptions précédant les fêtes de fin d'année atteignait son apogée, et chacun avait assez de quoi s'occuper. Une gosse à moitié nue fredonnant en pleine nuit dans une rue de la capitale devenait tout à fait invisible, comme dans un des livres que la petite fille avait chez elle, où de passionnants animaux d'Afrique se dissimulaient dans des dessins de paysages norvégiens, incrustés dans l'écorce et le feuillage, presque impossibles à distinguer car ils n'étaient pas dans leur milieu naturel.
«Alors la petite maman souris dit...»
Tout le monde était sorti s'amuser, mais bien peu y étaient arrivés. Devant chez le joaillier Langgaard, une femme contemplait son propre vomi, appuyée à la vitrine armée. Un coulis de framboises rouge profond à moitié digéré coulait entre des restes de côtes de porc et de boulettes de viande hachée, de neige fondue et de sable de déneigement. Un groupe de jeunes hommes cria quelques couplets satiriques boiteux à son intention, depuis le trottoir opposé. Ils traînaient un collègue épuisé entre eux le long du Théâtre national, sans se préoccuper de la chaussure qu'il avait perdue. Devant chaque débit de boissons, des groupes de fumeurs frissonnaient dans le froid. Un vent salé venu du fjord parcourait les rues et se mêlait aux odeurs de tabac consumé, d'alcool et de parfum écoeurant. L'odeur d'une nuit dans une grande ville de Norvège juste avant Noël.