Little Heaven

Auteur : Nick Cutter
Editeur : J'ai lu

Le passé est un molosse qui vous poursuit à travers champs et collines, tenaillé par une faim dévorante, vous pistant jusqu’à ce que, une nuit, vous l’entendiez gratter à la porte. La première fois que les chasseurs de primes Minerva, Micah et Ebenezer font équipe, en 1966, c’est pour retrouver un enfant enlevé par une secte obscure œuvrant au Nouveau-Mexique, dans un endroit nommé Little Heaven. Quinze ans plus tard, c’est la fille de Micah qui est enlevée, et le trio devra s’armer pour affronter le débarquement de l’Enfer.
Avec un plaisir manifeste et sa perversité habituelle, Nick Cutter démontre dans ce western sanglant et nerveux qu’il a su dompter les codes du roman d’épouvante.

Traduction : Eric Fontaine
8,80 €
Parution : Février 2020
Format: Poche
672 pages
ISBN : 978-2-2902-2487-8
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Extrait

1

Il y a un vieil adage qui dit ceci : Le mal ne meurt jamais ; il sommeille. Et quand cette vilenie se réveille, elle peut être tout à fait silencieuse – ou presque.
Les insectes aussi crient d’effroi.
C’est ce que fit le puceron, mais dans un registre trop aigu pour être perçu par l’homme. Juste avant, il poursuivait son dur labeur dans le système racinaire d’un cactus dressé aux abords du désert du Nouveau-Mexique. Il était si minuscule qu’il était quasi invisible à l’œil nu.
C’est ainsi que tout recommencerait, que reviendrait la grande roue du destin.
Alors que le puceron tirait le suc des racines du cactus, quelque chose tourbillonna hors des profondeurs les plus ténébreuses de la terre. L’entité s’insinua dans le corps du puceron. Si l’insecte éprouva de la douleur – et de la douleur, il devait y en avoir –, il fut incapable d’exprimer sa souffrance autrement que par ce petit cri.
La bestiole gravit patiemment les racines en forant un passage dans le sable meuble jusqu’aux feuilles charnues du cactus. Il y rencontra une fourmi qui se nourrissait du miellat que sécrètent les pucerons.
Leurs antennes se touchèrent brièvement. L’entité qui était entrée furtivement dans le puceron se glissa sans bruit dans la fourmi, aussi superflue que la fumée s’échappant de la cheminée d’un sépulcre.
Le puceron explosa dans un sifflement aigu de gaz pressurisé.
La fourmi rampa jusqu’à sa fourmilière, baignée de la lumière jaune citron de l’après-midi. Elle disparut dans l’entrée. Peu après, le dôme se vida, déversant les fourmis en une multitude furieuse.
Déployées sur un large front comme une armée en marche, les fourmis avancèrent avec détermination jusqu’à ce qu’elles tombent sur le terrier d’une souris des champs. Elles investirent par milliers le monticule de terre. Un couinement affolé se fit entendre.
Le rongeur émergea de terre. Il sautilla et s’agita, la peau secouée de soubresauts. Il tourna frénétiquement plusieurs fois sur lui-même avant de se remettre sur ses pattes puis de filer dans les hautes herbes sèches. Il s’arrêta çà et là pour ronger sa propre chair jusqu’au sang. Au bout d’un moment, il croisa une musaraigne du désert. Quelques instants plus tard retentit un cri hystérique.
La musaraigne tomba sur un opossum, qui fit à son tour la rencontre d’un lièvre à queue noire, lequel se jeta en glapissant dans la gueule d’un renard qui se tortilla en poussant des jappements aigus avant de gagner l’abri d’une famille de jaguarondis. Des cris perçants déferlèrent sur l’étendue aride de sable.
La nuit enveloppa le désert. Dans l’obscurité, une silhouette s’extirpa lourdement de la tanière. La lumière du couchant profila les étranges excroissances de la créature ; sa chair humide brillait dans la lueur pâle de la lune. Elle respirait par ses nombreuses bouches et regardait autour d’elle au moyen d’une constellation d’yeux incrustés dans un renflement charnu de pelage strié de sang. Elle se déplaçait sur de nombreuses pattes dont chacune avait été raccourcie, compressée, comme le soufflet d’un accordéon ; la créature innommable rampa à la manière d’un crabe. Cette abomination se propulsa furtivement au-dessus des sables, aspirant la brise par ses quatre museaux.
Du haut d’un affleurement de rocher, un loup gris solitaire parcourait le plateau du regard. C’était un vieil animal marqué de cicatrices, dont une oreille avait été arrachée dans quelque bataille territoriale ancienne. Le loup décela un mouvement. Une silhouette se détacha contre l’horizon. Elle titubait comme si elle était blessée, et pourtant, l’instinct de prédateur du canidé lui disait non, non, non, qu’elle ne souffrait d’aucune blessure. C’était... autre chose.
Le loup bondit pour aller vérifier. Il était méfiant mais n’éprouvait aucune crainte. Si du sang circulait dans les veines de cette créature, le loup le ferait couler.
Il n’avait pas peur. Le loup était au sommet de la chaîne alimentaire. Il n’avait jamais croisé de rival digne de ce nom, pas une seule fois dans sa longue vie.
Quelques heures plus tard, ayant sensiblement gagné en volume, la chose se déplaça lourdement vers un îlot de sable beaucoup plus foncé que le sol environnant. Les arbres qui jaillissaient de sa surface noire et huileuse étaient malingres et chétifs mais s’accrochaient obstinément à la vie, trahissant une profonde souffrance.
Diligemment, la chose se mit à creuser. Le trou s’élargit et s’approfondit. Le sable devint de plus en plus sombre, jusqu’à revêtir l’aspect de l’obsidienne, comme s’il était englué dans le goudron.
La créature tomba sur quelque chose d’enfoui dans cette noirceur contre nature. Elle renâcla de tous ses museaux, grogna et couina de toutes ses bouches.
Puis ce quelque chose s’ébranla et exhala un puissant souffle haletant. La créature se précipita hors de la fosse avec furie.
Quelque part sous la voûte céleste retentit le cri d’un oiseau de proie.

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