Retour à Whistle Stop
Bud a grandi dans la petite ville ferroviaire de Whistle Stop, Alabama, avec sa mère Ruth et sa tante Idgie. Ensemble, elles ont tenu le fameux Whistle Stop Café, connu dans le monde entier pour ses succulents beignets de tomates vertes.
Hélas, tout a une fin. La gare a fermé et Whistle Stop est devenue une ville fantôme.
Malgré tout, Bud, devenu vieux, décide d’y accomplir un dernier voyage afin de revoir l’endroit où il a été si heureux. Chemin faisant, il va se faire de nouveaux amis et apprendre des choses surprenantes sur les gens qu’il a connus et dont il croyait tout savoir.
Tout aussi réconfortant, inspirant et enchanteur que Beignets de tomates vertes dont il est la suite, Retour à Whistle Stop est une ode à la vie et à la magie du quotidien.
Extrait
24 janvier 1991
Grady Kilgore, un grand costaud au torse épais, avait été le shérif de Whistle Stop jusqu’en 1958, date à laquelle il s’était installé dans le Tennessee avec son épouse Gladys. Aujourd’hui septuagénaire, il était descendu de Nashville avec son petit-fils et, depuis la voie ferrée, regardait le Whistle Stop Café, complètement délabré. Dans la rue, les bâtiments voisins étaient recouverts de vigne vierge, au point d’être méconnaissables.
Il indiqua l’un d’eux :
— Ça, c’était la poste, où travaillait Dot Weems, et le café était là, à côté du salon de coiffure d’Opal, où ta grand-mère se rendait tous les samedis matin.
Grady constata avec tristesse combien les lieux avaient changé depuis sa dernière visite.
La vieille route qui menait à Birmingham était à présent abandonnée au profit d’une autoroute à six voies et, pour l’essentiel, la petite bourgade s’était transformée en décharge. Des épaves de voitures et de camions rouillaient le long de la voie ferrée. Le sol était jonché de canettes de bière et de bouteilles de whisky vides. Grady remarqua aussi, malheureux signes des temps, quelques seringues et pipes à crack disséminées.
L’église baptiste, dans laquelle il allait chaque dimanche écouter les prêches du révérend Scroggins, tombait presque en ruine. Les vitraux étaient brisés, les bancs avaient été retirés et vendus. Il ne restait plus de la ville que quelques maisons, dont celle de la famille Threadgoode, qui tenait à peine debout. Des vandales avaient presque tout détruit. Grady se tourna vers son petit-fils et lui dit en hochant la tête :
— Quand je vois ce que c’est devenu, ça me rend malade. Whistle Stop n’a jamais été un endroit à la mode, mais au moins c’était propre. Il n’y avait pas ces ordures partout. La maison des Threadgoode est recouverte de graffitis, et elle n’a plus de vitres aux fenêtres. On ne dirait pas, à la regarder, mais c’était la plus jolie de toute la ville. J’ai beau essayer, je n’arrive pas à comprendre comment elle a pu se dégrader comme ça. J’ai entendu dire que les terrains avaient été vendus et qu’on allait tout démolir pour construire à la place une fabrique de pneus.
Il jeta un dernier coup d’œil sur la rue et poussa un soupir.
— Je me demande pourquoi le café est en si mauvais état. Cela n’est pas normal. On allait y manger comme chez de bons amis. Les deux filles qui s’en occupaient, Idgie Threadgoode et Ruth Jamison, étaient formidables. Tu les aurais adorées. D’ailleurs, toute la ville mangeait là, les employés du chemin de fer et leurs familles. Le jour de Noël, Idgie, Ruth et Sipsey, la cuisinière, repassaient leurs plus belles nappes, et on y allait tous ouvrir nos cadeaux et chanter des cantiques.
Grady lâcha subitement un sanglot. Se détournant, il sortit un mouchoir de sa poche et se moucha d’un air contrit.
— Excuse-moi, mon petit. Oh, Seigneur, je ne devrais pas revenir sur le passé... Mais on a vécu de si bons moments avec elles. Buddy, le fils de Ruth, a grandi dans l’arrière-salle. Le pauvre gosse. Il n’était pas beaucoup plus vieux que toi quand il a perdu un bras.
Grady plia soigneusement son mouchoir, le remit dans sa poche et ajouta :
— Il y a quelques années, le jour de Noël, ta grand-mère et moi avons rendu visite à Opal Butts, à Birmingham. Pendant qu’elles préparaient le dîner, je me suis éclipsé pour faire un tour ici. Je me trouvais exactement à l’endroit où nous sommes et, tu ne me croiras peut-être pas, mais j’ai soudain entendu un air de piano et des rires. Cela venait du café, qui était condamné. J’ai bien regardé partout et il n’y avait personne, pourtant je te jure que je n’ai pas rêvé. Qu’est-ce que ça pouvait être ?
Le petit garçon frotta ses mains l’une contre l’autre et répondit :
— Je ne sais pas, grand-père. Si on y allait, maintenant ? Je commence à avoir froid.