Sous les vents de Neptune

Auteur : Fred Vargas
Editeur : J'ai lu

La découverte d'une jeune fille assassinée de trois coups de couteau renvoie violemment Adamsberg au souvenir de son jeune frère Raphaël, disparu après avoir soupçonné du meurtre de son amie, il y a trente ans. Les cadavres présentent les mêmes blessures qui ressemblent aux marques d'un trident.

7,80 €
Parution : Avril 2008
Format: Poche
416 pages
ISBN : 978-2-2903-5724-8
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Extrait

Adossé au mur noir de la cave, Jean-Baptiste Adamsberg considérait l'énorme chaudière qui, l'avant-veille, avait stoppé toute forme d'activité. Un samedi 4 octobre alors que la température extérieure avait chuté aux alentours de 1°, sous un vent droit venu de l'Arctique. Incompétent, le commissaire examinait la calandre et les tuyauteries silencieuses, dans l'espoir que son regard bienveillant ranime l'énergie du dispositif, ou bien fasse apparaître le spécialiste qui devait venir et qui ne venait pas.
Ce n'était pas qu'il fût sensible au froid ni que la situation lui fût désagréable. Au contraire, l'idée que, parfois, le vent du nord se propulsât directement sans escale ni déviation depuis la banquise jusqu'aux rues de Paris, 13e arrondissement, lui donnait la sensation de pouvoir accéder d'un seul pas à ces glaces lointaines, de pouvoir y marcher, y creuser quelque trou pour la chasse au phoque. Il avait ajouté un gilet sous sa veste noire et, s'il n'avait tenu qu'à lui, il aurait attendu sans hâte la venue du réparateur tout en guettant l'apparition du museau du phoque.
Mais à sa manière, le puissant engin terré dans les sous-sols participait pleinement à l'élucidation des affaires qui convergeaient à toute heure vers la Brigade criminelle, réchauffant les corps des trente-quatre radiateurs et des vingt-huit flics du bâtiment. Corps à présent engourdis par le froid, engoncés dans des anoraks, s'enroulant autour du distributeur à café, appliquant leurs mains gantées sur les gobelets blancs. Ou qui désertaient carrément les lieux pour les bars alentour. Les dossiers se pétrifiaient à la suite. Dossiers primordiaux, crimes de sang. Dont l'énorme chaudière n'avait que faire. Elle attendait, princière et tyrannique, qu'un homme de l'art voulût bien se déplacer pour se mettre à ses pieds. En signe de bonne volonté, Adamsberg était donc descendu lui rendre un court et vain hommage et trouver là, surtout, un peu d'ombre et de silence, échapper aux plaintes de ses hommes.

Ces lamentations, alors qu'on parvenait à maintenir une température de 10° dans les locaux, auguraient mal du stage ADN au Québec, où l'automne s'annonçait rude - moins 4° hier à Ottawa et de la neige, déjà, par-ci par-là. Deux semaines ciblées sur les empreintes génétiques, salive, sang, sueur, larmes, urine et excrétions diverses à présent capturés dans les circuits électroniques, triés et triturés, toutes liqueurs humaines devenues véritables engins de guerre de la criminologie. À huit jours du départ, les pensées d'Adamsberg avaient déjà décollé vers les forêts du Canada, immenses, lui disait-on, trouées de millions de lacs. Son adjoint Danglard lui avait rappelé en maugréant qu'il s'agissait de fixer des écrans et en aucun cas les surfaces des lacs. Cela faisait un an que le capitaine Danglard maugréait. Adamsberg savait pourquoi et il attendait patiemment que ce grondement s'estompe.

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