L'ombre du soleil

Auteur : Taleb Alrefai
Editeur : Actes Sud

Hilmi vit sous le toit de ses parents avec son épouse dans une bour­gade de la Haute-Égypte. Son maigre salaire de professeur d’arabe ne lui offre nulle perspective d’évolution ni d’indépendance. Alors, comme des milliers de jeunes diplômés condamnés à une vie misé­rable, il décide d’émigrer au Koweït. Une fois sur place, il ne voit de l’Eldorado dépeint par son passeur que les quatre murs de la chambre insalubre qu’il partage avec deux congénères, et subit les tracasse­ries d’une administration corrompue. Au terme de nombreuses et lassantes démarches, endetté et exténué, il finit par obtenir sa carte d’identité civile, ce qui lui permet de postuler à un emploi de simple ouvrier sur le chantier de construction que dirige un certain Taleb Alrefai, connu aussi comme romancier.
Mais Hilmi n’est pas au bout de ses peines. Il est aussitôt pris dans les filets d’une sordide affaire de mœurs, suivie d’une autre encore plus invraisemblable…

Ttraduit de l'arabe (Koweït) par Moncef Khémiri
21,00 €
Parution : Mars 2018
192 pages
ISBN : 978-2-3300-9729-5
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Extrait

DANS L’AVION
Jusqu’à quand ce bruit assourdissant va-t-il persister dans ma tête ?
Je n’avais pas imaginé que mon premier voyage en avion pût être aussi pénible.
Le dos du siège, très haut, cache la femme qui est assise devant moi. Je ne vois d’elle que sa chevelure noire, mais je sens combien elle est préoccupée par son bébé en pleurs. J’aimerais tant voir son visage.
Lui, il semble plongé dans la lecture de son livre. Il ferme le couloir. Quelque chose me dit que je le rever- rai. Quand je suis monté à bord de l’avion, il était déjà là, assis. Il s’est levé quand je me suis approché de lui. Il a étendu son long bras et m’a indiqué ma place d’un large geste de la main : “Prenez place. Voici votre siège.”
Les larmes de l’enfant ont réveillé mes propres cha- grins. Je voudrais éclater en sanglots, redevenir un enfant qu’une femme prendrait dans ses bras, et qui mettrait sa tête sur sa poitrine.
Hier, Saniya m’a serré contre sa poitrine. C’était notre dernière nuit. Je sais quand elle me désire : ses mouvements se troublent, son haleine devient parfumée, son regard émet un appel pressant, et des fois, ses yeux, légè- rement humides, se mettent à briller.
J’aurais aimé qu’elle m’exprime son désir, qu’elle m’invite comme Naâma le faisait en me disant : “Viens, mon rêve* !”
Naâma, la femme de Hagg Metwalli, n’est pas com- me Saniya. Chaque fois que je la retrouvais, c’est comme si c’était la première fois. J’ai désiré la revoir, hier. Au café, soucieux, je suis resté silencieux : des idées noires s’agitaient dans mon esprit. Alors, je me suis levé et je suis parti. J’ai pris la décision de la revoir. Mais j’ai été déçu quand j’ai vu que la lumière de sa chambre était éteinte. C’était le signal dont nous étions convenus. Évi- tant le regard des passants, j’avais frappé délicatement à sa fenêtre. Le regard planté au sol, j’écoutais attenti- vement. La fenêtre demeura obscure. Je suis passé alors par la porte de l’arrière-cour, me disant que peut-être, elle l’aurait laissée ouverte.
Je guettais les passants qui venaient, mais j’étais sûr que son mari Hagg Metwalli était encore dans sa bou- tique.
J’ai vu que la porte était plongée dans le noir. Je l’ai poussée, mais elle me résista. Mon trouble augmenta et le désir de la revoir me rendit fou. Ma bouche était sèche. De nouveau, je poussai la porte, mais en vain.
* Jouant sur les mots, Naâma appelle ainsi son amant. Hilmi signi e en arabe “le rêveur”. Le père du héros dit aussi : “Je l’ai appelé Hilmi, parce qu’il est mon rêve !”
Elle resta close. Apercevant une silhouette qui venait dans ma direction, je me suis empressé d’accélérer le pas, avec une fausse précipitation. J’ai poursuivi ma marche, le regard planté au sol. Puis je suis revenu de nouveau pour tapoter à sa fenêtre. J’étais sûr qu’elle se tenait derrière sa fenêtre, qu’elle m’entendait mais qu’elle refusait de me rencontrer. J’aurais aimé voir la chambre s’éclairer, mais... ?
L’âme accablée, je suis rentré chez moi. Ma femme, comme je l’avais laissée, m’accueillit avec un visage fermé où beaucoup de tristesse s’était accumulée.
— Que la paix soit sur toi ! dis-je cherchant à éviter toute discussion.
Saâd cria et se précipita vers moi. “Tais-toi !” lui lança- t-elle. L’enfant s’arrêta net, comme figé d’effroi.
Je m’assis au bord du lit, l’esprit ailleurs, perdu. Naâma était fâchée contre moi. C’est pourquoi elle avait refusé de me recevoir.
Je m’aperçus alors que la lumière de notre chambre était jaune, étou ante.
Saâd marcha vers moi, avec des pas hésitants et un regard craintif fixé sur sa mère. Elle le porta, l’embrassa et le mit dans mes bras. Tout en allant et venant, elle rangeait nerveusement la chambre.
Dans un des quatre coins de la pièce, j’aperçus ma petite valise noire.
— Je suis fatiguée, soupira Naâma, découragée.
J’ai pensé qu’elle s’était peut-être disputée avec ma mère, ou que Saâd avait mis sa patience à rude épreuve, ou bien encore qu’elle était préoccupée par mon voyage au Koweït. Il y avait aussi mon silence qui lui était devenu insupportable. Je ne fis pas de commentaire. Elle me laissa avec Saâd et sortit. Après avoir humé l’odeur de son cou, je me mis à jouer avec lui. Elle revint pour lui donner à manger. Je repris ma place au bord du lit. Elle le fit manger avec une certaine ner- vosité. Je la surveillais à travers la fumée de ma ciga- rette. C’était la dernière nuit que je passais avec eux deux.

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