Les mondes possibles de Jérôme Ferrari
Saisir les secrets de la création en regardant par-dessus l’épaule d’un grand écrivain tandis que le texte s’élabore, c’est peut-être là le désir de tout nouvel auteur. Dans ce grand entretien, Pascaline David lève le voile sur le travail d’écriture et l’univers romanesque de Jérôme Ferrari.
L’écrivain aborde des thèmes aussi variés que le rôle de l’enfance dans le déploiement de la vocation romanesque, la construction de personnages, la mise en œuvre de la langue, l’élaboration du récit ou le travail de l’écriture proprement dit.
“Je ne peux pas écrire quelque chose en quoi, d’une certaine manière, je ne crois pas. Je sais bien que c’est de la fiction mais, en même temps, il faut que j’y croie. Il faut que j’y croie parce que sinon pourquoi irais-je l’écrire ? Il faut que j’y croie et que ce soit comme si je regardais quelque chose qui se déroule dans une espèce de petit monde.” (extrait)
Extrait
Introduction
Saisir les secrets de la création en regardant par-dessus l’épaule d’un grand écrivain tandis que le texte s’élabore, c’est peut-être là le désir de tout nouvel auteur. Celui de découvrir les procédés d’écriture pour mener à bien un premier roman, de comprendre un certain nombre de techniques au départ de questions simples ou parfois complexes pour retourner ensuite à sa table de travail, fort d’une nouvelle idée.
C’est avec cet objectif que je me suis adressée à Jérôme Ferrari pour les éditions diagonale. La maison d’édition cherchait à accompagner les primo-romanciers en quête de pistes d’écriture. Les notes de lecture personnalisées, envoyées par le comité de lecture, ne suffisaient plus à renseigner l’auteur néophyte. Alors quoi de mieux que l’expérience d’un auteur confirmé ?
Jérôme Ferrari accepta ma proposition et m’accorda trois jours d’entretiens, en Corse, en novembre 2017. On convint de plusieurs périodes d’enregistrement, chacune d’une heure trente. Je préparai une centaine de questions sur des thèmes différents, explorant l’origine de son goût pour l’écriture, des aspects techniques de son travail ainsi que sa réflexion autour de notre monde si complexe.
Ce fut la seule semaine de l’année 2017 où il plut sur l’île de beauté. À la faveur du temps maussade, je restai immergée dans un bain chaud à lire huit textes romanesques de haute tenue : Variétés de la mort (2001), Aleph zéro (2002), tous deux parus chez Albiana, puis aux éditions Actes Sud, Dans le secret (2007), Balco Atlantico (2008), Un dieu un animal (2009), Où j’ai laissé mon âme (2010), Le Sermon sur la chute de Rome (2012), Le Principe (2015) ainsi qu’un essai coécrit avec Oliver Rohe sur la photographie de guerre, À fendre le cœur le plus dur, paru aux éditions Inculte en 2015.
Au bout de quatre jours de lectures, je retrouvai l’écrivain chez lui. Dès la première rencontre, Jérôme Ferrari me donna l’impression d’un homme courtois, soucieux du détail et en ébullition permanente. De lui se dégageait une sorte de tension. La plupart des entretiens eurent lieu dans son bel appartement coloré où ce qui me frappa d’emblée fut le nombre de bibliothèques qui semblaient avoir colonisé l’espace dédié aux meubles. L’ordre et la suprématie des gros volumes en disaient long sur la culture de mon hôte. À la fois philosophe, enseignant et romancier, Jérôme Ferrari ne me refusa jamais une question, aussi difficile qu’elle fût, pour construire subito la réponse la plus inspirée possible. En cours d’entretien, je découvris qu’il s’attelait à un nouveau roman dédié à la photographie de guerre, À son image, dont la parution était prévue en août 2018 chez Actes Sud.
J’ai recueilli la plus grande partie de ses réponses dans son bureau, une petite pièce sobre, garnie d’un poste de travail, d’un canapé deux places de couleur claire et d’une méridienne assortie. On l’imagine facilement ici, en proie à quelques réflexions au départ d’un nouveau roman ou occupé à visionner de la documentation sur un de ces thèmes qu’il affectionne, la guerre de Serbie, par exemple, ou le travail d’un certain photographe.
À son image fut couronné quelques mois plus tard par le prix littéraire du journal Le Monde 2018 et le prix Méditerranée 2019. Malgré les nombreuses sollicitations dont l’auteur fut l’objet, j’eus l’opportunité de le retrouver une dernière fois, en décembre, pour tenter de saisir ce qui avait fait battre le cœur de son nouveau récit.
La rencontre eut lieu à Bruxelles un jour de crachin belge, bien à l’abri dans les salons de l’hôtel Amigo. C’est donc par un agréable déjeuner que se clôtureraient nos entretiens, et s’il fut toujours question d’écriture, ces derniers échanges précisèrent davantage la lecture du monde de l’auteur, l’utilité de la parole et de la photographie, la place du sacré dans son œuvre, pour se conclure en douceur sur la Corse et les photographies de sa famille, celles prises à Saigon, Dakar ou dans ces pays lointains en guerre. Et avec lesquelles tout a peut-être commencé, ce jour-là et comme à chaque fois que lui vient l’envie d’ouvrir l’un de ces albums qui l’ont toujours fasciné, au point d’y voir un livre d’Histoire minuscule et de vouloir y prendre part en créant un monde possible.
Pascaline David