The Sinner

La pécheresse
Auteur : Petra Hammesfahr
Editeur : Jacqueline Chambon

Cora Bender et son mari Gereon ont décidé de profiter de cette belle journée ensoleillée pour pique-niquer au bord d’un lac.

Assise sur sa serviette de plage, Cora est en train de couper une pomme pour son petit garçon. Devant eux, des jeunes gens rient et s’amusent en écoutant de la musique. Soudain, elle se lève, se dirige vers le groupe et poignarde l’un des hommes à plusieurs reprises.

La police est dépêchée sur les lieux, mais il n’y a aucun doute possible, Cora a avoué son crime et des dizaines de témoins affirment l’avoir vue tuer le jeune homme. Pourtant, le commissaire Rudolf Grovian, chargé de l’affaire, refuse de boucler si facilement le dossier. Il veut comprendre ce qui a poussé une jeune femme, a priori sans histoire, à commettre un tel geste.

Commence alors une plongée vertigineuse et fascinante dans l’âme tourmentée de Cora et dans le sombre passé d’une famille tout entière tournée vers sa jeune sœur atteinte d’une maladie rare.

Traduction : Jacqueline Chambon
23,00 €
Parution : Novembre 2019
356 pages
ISBN : 978-2-3301-2831-9
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Extrait

C’est par une chaude journée de juillet que Cora Bender décida de mourir. Dans la nuit, Gereon lui avait fait l’amour. Il lui faisait régulièrement l’amour le vendredi et le samedi. Elle n’arrivait pas à le repousser, elle savait combien il en avait besoin. Et elle aimait Gereon. C’était même plus que de l’amour. C’était de la reconnaissance, un dévouement total, quelque chose d’absolu.
Elle devait à Gereon d’être ce qu’elle était – une jeune femme normale. C’est pourquoi elle voulait le rendre heureux et le satisfaire. Avant, quand il était tendre, elle jouissait, mais, depuis six mois, c’était fini.
C’était le soir de Noël et Gereon avait eu l’idée de mettre la radio dans la chambre. La nuit devait être particulièrement belle. Ils s’étaient mariés un soir de Noël, deux ans avant, et, depuis dix-huit mois, ils avaient un fils.
Gereon avait vingt-sept ans, Cora Bender vingt-quatre. Gereon était mince et mesurait un mètre quatre-vingt-un. Il avait l’air sportif et bodybuildé, et pourtant il ne faisait aucun sport. Il manquait de temps pour cela. Ses cheveux d’un blond très clair à sa naissance n’avaient que légèrement foncé. Son visage n’était ni beau ni laid, c’était un visage moyen. Gereon Bender était un homme moyen en tout.
Rien n’était frappant non plus chez Cora Bender, à l’exception d’une cicatrice au front et d’une autre à la saignée du bras. Celle du front était le résultat d’un accident, celle plus visible, au bras, venait d’une méchante inflammation causée par l’aiguille d’une injection faite en clinique, comme elle l’avait expliqué à Gereon.
Il y avait un trou dans sa vie. Il s’y cachait un sombre chapitre, elle le savait même si elle en avait perdu le souvenir. Quelques années auparavant, elle avait sombré dans des nuits innombrables. La dernière datait de quatre ans. À l’époque elle ne connaissait pas encore Gereon et d’une façon ou d’une autre elle avait réussi à sortir du trou. Elle n’avait plus le droit d’y retomber depuis qu’elle avait épousé Gereon. Et puis c’était arrivé – justement un soir de Noël.
Au début, tout allait bien, la légère musique de Noël, la tendresse de Gereon qui se faisait toujours plus ardente et pressante. Puis il la pénétra lentement et cela devint désagréable. Quand il plongea sa figure entre ses jambes et qu’elle sentit sa langue, la musique devint plus forte. Elle perçut les rapides battements d’une batterie, une guitare électrique et les sons aigus et stridents d’un synthétiseur – cela dura une fraction de seconde et, déjà, c’était passé. Mais ce court instant suffit.
Quelque chose s’effondra en elle – ou plutôt s’ouvrit en elle, comme un coffre bien fermé que quelqu’un aurait percé au chalumeau. C’était un sentiment irréel. Elle n’était plus allongée dans son lit. Le sol était dur sous son dos et elle sentait quelque chose dans sa bouche comme si un pouce particulièrement épais lui abaissait la langue, provoquant une terrible nausée.
Son geste fut un simple réflexe. Elle entoura de ses genoux le cou de Gereon et serra les cuisses. Elle faillit lui briser les vertèbres ou l’étrangler. Elle ne s’aperçut même pas jusqu’où elle était allée. Ce n’est que lorsque Gereon, haletant et râlant, se jeta sur le côté et enfonça ses ongles dans la chair tendre de sa taille que la douleur l’arrêta.
Gereon tentait de reprendre haleine : « Tu es tarée ou quoi ? Qu’est-ce qui t’a pris?» Il se frotta la nuque, toussa, se tâta la gorge et la considéra en secouant la tête.
Il ne comprenait pas sa réaction. Elle non plus ne comprenait pas ce qui soudain était devenu si odieux et si répugnant. Si horrible que pendant quelques secondes elle avait cru sentir la langue de la mort.
« Je n’aime pas ça », dit-elle, et elle se demanda ce qu’elle avait entendu. La musique dans la chambre n’avait pas cessé, elle était douce et apaisante. Un chœur d’enfants chantait : « Douce nuit, sainte nuit, l’amour rit dans ta bouche divine. » Quoi d’autre ce soir-là ?
Cette attaque inopinée avait coupé tout désir à Gereon. Il arrêta la radio, éteignit la lumière et tira la couverture sur son épaule. Il ne lui souhaita même pas une bonne nuit, se contentant de grommeler : « Dommage ! »
Il s’endormit aussitôt. Plus tard, elle fut incapable de dire si elle s’était endormie, elle aussi. À un moment donné, elle se redressa, frappa du poing dans l’air et cria : « Arrêtez ! Lâchez-moi ! Tu vas arrêter, espèce de porc ! » Et pendant tout ce temps, elle fut traversée par le martèlement sauvage de la batterie, la guitare électrique et les sons stridents du synthétiseur.
Gereon se réveilla, lui attrapa la main, la secoua en criant : «Cora! Bon Dieu, qu’est-ce qui t’arrive?» Elle ne pouvait ni arrêter de crier ni se réveiller. Assise dans l’obscurité, elle se battait désespérément contre quelque chose qui arrivait lentement sur elle et qui allait lui faire perdre la raison, elle le savait.
Puis il la gifla et elle revint à elle. Il lui demanda ce qui lui arrivait. Ce qu’il lui avait fait. Elle n’avait pas les idées assez claires pour lui répondre. Elle ne put que le regarder fixement. Après quelques secondes, il se rallongea. Elle suivit son exemple, se tourna sur le côté et lui assura que ce n’était qu’un de ses cauchemars habituels.
Mais, la nuit suivante, quand Gereon voulut se rattraper, la même chose se reproduisit. Cette fois-ci, pourtant, la radio ne fonctionnait pas et il ne fit pas la moindre tentative pour lui infliger ce qu’il appelait la plus grande preuve d’amour. D’abord arriva la musique, plus fort et un peu plus longtemps, en tout cas assez longtemps pour qu’elle se rende compte qu’elle n’avait jamais entendu cet air. Ensuite elle tomba dans le trou noir dont elle émergea en criant et en se débattant. Et elle ne se réveilla que lorsque Gereon la secoua, en la giflant et en criant son nom.
Pendant la première semaine de la nouvelle année, cela se reproduisit deux fois. Dans la deuxième semaine, une seule fois, le vendredi Gereon était trop fatigué. En tout cas c’est ce qu’il affirma. Mais le samedi, il déclara : « J’en ai ma claque de ce cinéma. » C’était sans doute déjà le cas le vendredi.
En mars, Gereon insista pour qu’elle aille voir un médecin. « Ce n’est pas normal, reconnais-le. Il faut faire quelque chose. Ou bien tu préfères que ça continue ? Dans ce cas, j’irai dormir sur le canapé. »
Elle n’alla pas voir un médecin. Il lui aurait demandé, c’était certain, si elle avait une explication pour cet étrange cauchemar ou, du moins, si elle savait pourquoi cela se produisait chaque fois que Gereon voulait coucher avec elle. Un médecin aurait vraisemblablement commencé à sonder le trou, lui aurait dit qu’il fallait prendre conscience des choses. Un médecin n’aurait pas compris que certaines choses étaient trop horribles pour qu’on en prenne conscience. Elle se contenta d’un pharmacien. Il lui prescrivit un somnifère léger. Cela lui permit au moins d’arrêter de crier et de se débattre, et Gereon supposa que tout était rentré dans l’ordre. Il n’en était rien.

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