Dans les brumes du matin

Auteur : Tom Bouman
Editeur : Actes Sud

L’officier Henry Farrell est chargé d’enquêter sur la disparition de Penny Pellings, une toxicomane notoire, à Wild Thyme. C’est le compagnon de la jeune femme qui a alerté la police après avoir découvert leur caravane sens dessus dessous et attendu le retour de Penny, en vain. Il a beau clamer son innocence, tout semble pourtant l’incriminer. Quelques jours plus tôt, Farrell avait en effet été appelé sur les mêmes lieux pour régler leur affaire de violence conjugale.

Au nord de la frontière pennsylvanienne, le corps d’un homme non identifié est bientôt retrouvé dans le fleuve Susquehanna.

Ces deux affaires pourraient bien être liées. Assisté du shérif et de la police du comté de New York, Farrell va devoir sortir de sa zone de confort, infiltrer la jungle urbaine, plonger dans les arcanes du trafic de drogue et arpenter à nouveau les collines du comté de Holebrook.

Avec Dans les brumes du matin, encensé par Dennis Lehane, Tom Bouman nous offre, grâce à une imagerie subtile et des protagonistes fascinants, un polar rural particulièrement efficace, jalonné d’interludes de country blues, de rock et de bluegrass, où l’on suit avec enthousiasme les évolutions de l’enquête.

Traduction : Yannis Urano
23,00 €
Parution : Septembre 2020
354 pages
Collection: Actes noirs
ISBN : 978-2-3301-3691-8
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Extrait

À l’est, le soleil gagnait le ciel pendant que je traversais un pré au volant de mon pick-up, direction le lac de Maiden’s Grove. Sur les collines, le feuillage des trembles se déployait en nuages vert pâle au-dessus des violettes, qui poussaient un peu partout dans l’herbe et essayaient de tenir tête à la fraîcheur et l’humidité du printemps. L’été s’annonçait de partout.
Qui a décidé de baptiser le lac Maiden’s Grove, ça, j’en sais rien ; sûrement la même personne qui a décidé d’appeler notre canton Wild Thyme, deux cents ans plus tôt, quand le nord de la Pennsylvanie était pas encore colonisé. Ils ont débarqué et ils ont vu les eaux glacées de cette ornière profonde, alimentée par des sources, qui se déversait dans January Creek et rejoignait le Susquehanna au sud avant de se jeter dans la baie de Chesapeake.
J’ai pris un virage à angle droit et j’ai suivi la route jusqu’aux cottages plantés sur le rivage. On les avait construits dans les années 1930, quand la famille qui possédait la plupart des terres aux alentours avait vendu quelques parcelles pour se faire un peu d’oseille. Ce que je sais, c’est que cette famille-là, les Swales, avait ensuite refait fortune dans le comté de Luzerne. Jusqu’à récemment, ils avaient laissé les trois quarts restants du lac à l’état sauvage. Ceux qui habitaient sur le rivage sud, c’étaient des gens riches, qui tenaient toujours leur maison impeccable et cherchaient avant tout le silence et la solitude. Ils lâchaient régulièrement des truites dans le lac et interdisaient les bateaux à moteur. Je me suis garé devant le Cottage no 7, près d’un gros 4×4 Mercedes bleu marine, et je me suis dirigé vers le jardin à côté du bâtiment. Je voyais les rayons du soleil matinal dessiner des taches de lumière blanche sur la surface bleue du lac. On pouvait même la sentir, la lumière. Rhonda Prosser, une femme d’âge mûr, mince, avec les membres tout secs d’une coureuse de fond, était accroupie devant une fenêtre cassée du sous-sol. Elle s’est levée quand je me suis approché. Ses dreadlocks grises étaient glissées dans des anneaux en argent et elle avait un beau visage, sévère, le visage d’une blanche, pour être clair, même avec sa coiffure. Je les avais déjà vus, elle et son mari, l’été, aux réunions mensuelles du canton. Ils avaient monté un projet pour harceler Steve Milgraham, mon patron, le responsable de Wild Thyme, au sujet des puits de gaz et de la fracturation des roches. Ils voulaient surtout savoir si l’EPA, l’agence de protection de l’environnement, surveillait bien nos activités, et aussi où partait l’argent de la loi 13. C’est grâce à ça qu’ils s’étaient fait remarquer dans le comté d’Holebrook, alors qu’ils habitaient à la base dans l’État de New York, au nord de la frontière.
Rhonda m’a scruté par-dessus des lunettes en demi-lune fixées sur le bout de son nez.
— Henry Farrell, Wild Thyme, j’ai commencé.
— Ouais, je sais qui vous êtes. J’attendais plutôt la police d’État.
— Ben...
— Donc c’est vous qui allez vous occuper de ça ? elle a enchaîné. Parce que je vous ai déjà appelé, moi. J’ai même laissé des messages sur votre répondeur. Ils faisaient un boucan pas possible, là-bas, chez Swales, et vous avez même pas levé le petit doigt.
Elle avait raison. Andy Swales, c’était le prince de la famille et l’année d’avant, il avait fait construire un château en pierre sur une colline qui surplombait le rivage nord, et des docks, aussi, avec un petit hangar à bateaux. Depuis le cottage des Prosser, on apercevait une des tourelles de la bastille.
Swales louait une partie de son domaine et une caravane à un couple de jeunes, Kevin O’Keeffe et Penny Pellings. En échange, ils s’occupaient de l’entretien du château et du terrain, même s’ils étaient pas connus pour être particulièrement soigneux. Les services de protection de l’enfance leur avaient retiré la garde d’Eolande, leur petite fille, née à peine un an plus tôt. L’affaire avait fait un peu de bruit. À part mes visites de contrôle occasionnelles, qui leur servaient à monter un dossier pour récupérer Eolande, on m’avait déjà appelé pour venir voir ce qui se passait à la caravane, cet hiver, mais c’était rien de méchant, juste une engueulade entre hippies qui avait un peu dégénéré.
Le truc, c’est que du coup, avec Kevin et Penny qui vivaient là-bas, une certaine frange de la population locale avait maintenant accès au lac et les propriétaires des cottages aimaient pas beaucoup ça. Depuis l’été d’avant, ils m’appelaient à la moindre occasion, scandalisés, pour se plaindre de ce qui se passait à Maiden’s Grove : quelqu’un qui jouait de la musique trop fort, trop tard, ou qui pêchait leurs truites dans le lac. Je leur répondais que quand on lâche des poissons dans un lac public, après, ils appartiennent à toute la communauté. J’avais quand même appelé Andy Swales pour le bruit. Il m’avait expliqué que ses locataires avaient le droit de faire ce qu’ils voulaient du moment qu’ils exagéraient pas trop. De mon côté, je pensais aussi qu’on était dans un pays libre et qu’on avait quand même le droit de se saouler au bord du mauvais lac.

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