Des ailes d'argent
Faye mène la belle vie à l’étranger. Sa société Revenge est plus florissante que jamais et son ex-mari infidèle se trouve derrière les barreaux. Mais juste au moment où Faye pense que tout est rentré dans l’ordre, sa petite bulle de bonheur est de nouveau menacée. Après l’impitoyable Cage dorée, Camilla Läckberg poursuit son diptyque trépidant avec un thriller qui fait funestement écho au destin de tant de femmes depuis la nuit des temps. Dans un monde régi par la perversité de l’homme, Faye est de nouveau sur le pied de guerre et sa vengeance sera terrible.
Extrait
Faye alluma la Nespresso. Tandis que la tasse se remplissait, elle regarda par la haute fenêtre de la cuisine. Comme d’habitude, la vue lui coupa le souffle.
Cette maison à Ravi était devenue son paradis sur terre. Le village n’était pas bien grand, environ deux cents habitants. Il fallait à peu près cinq minutes pour en faire le tour, et encore, sans se presser. Mais sur la petite place, il y avait un restaurant qui servait les meilleures pâtes et la meilleure pizza du monde. Et c’était plein tous les soirs. Parfois se pointaient de rares touristes, plus nombreux en cette fin mai : cyclistes français enthousiastes ou retraités américains ayant loué un camping-car pour réaliser leur rêve d’Italie, tandis que leurs enfants se désespéraient de les voir profiter de la vie au lieu de garder leurs petits-enfants.
Mais pas de Suédois.
Faye n’en avait pas vu un seul depuis qu’elle avait acheté la maison, et cela avait été un facteur décisif pour elle. En Suède, elle était une célébrité. En Italie, elle voulait rester anonyme, elle en avait besoin.
Sa belle maison ancienne ne se situait pas dans le village à proprement parler, mais à vingt minutes à pied. Perchée en haut d’une colline aux flancs couverts de vignes. Faye adorait aller acheter du pain, du fromage et du prosciutto crudo. C’était le cliché d’une vie à la campagne en Italie, et elle en profitait à fond. Comme sa mère Ingrid, comme Kerstin et Julienne. Deux ans déjà que Jack, l’ex-mari de Faye, était en prison. Elles formaient un petit quatuor bien soudé.
Kerstin et Ingrid gâtaient Julienne à qui mieux mieux, et à présent que Kerstin s’absentait de plus en plus, c’était Ingrid qui se chargeait de lui envoyer photos et nouvelles quotidiennes de sa fille.
L’expresso prêt, Faye prit sa tasse et traversa le séjour ouvert sur l’arrière de la maison. Éclaboussures et cris joyeux d’enfant annonçaient une piscine. Elle aimait beaucoup cette pièce. Il avait fallu du temps pour aménager la maison, mais armée de patience et grâce à l’un des plus habiles décorateurs italiens, elle avait obtenu exactement ce qu’elle voulait. Les épais murs de pierre gardaient la fraîcheur même au cœur de l’été, mais l’intérieur était assez sombre. De grands meubles clairs et un éclairage discret y avait remédié. Les vastes fenêtres à l’arrière de la maison laissaient aussi entrer la lumière. Elle adorait la façon dont le séjour se confondait avec la terrasse.
Elle trempa les lèvres dans son café en regardant sa fille et sa mère à la dérobée. Julienne avait tellement grandi, ses cheveux avaient presque blanchi au soleil. Chaque jour, de nouvelles taches de rousseur apparaissaient, elle était belle, en pleine santé, heureuse. Tout ce que Faye souhaitait pour elle. Tout ce qu’une vie sans Jack avait rendu possible.
“Maman, maman, regarde, je sais nager sans flotteurs !”
Faye sourit avec une mine ahurie pour montrer à sa fille combien elle était impressionnée. Julienne nagea en petit chien vers l’extrémité la plus profonde de la piscine, laborieusement, mais sans ses flotteurs Bamse abandonnés sur le bord. Ingrid suivait nerveusement des yeux sa petite-fille, mi-assise, mi-debout, prête à plonger à la rescousse.
“Ne t’inquiète pas, maman, elle gère.”
Faye but une autre gorgée de café en s’avançant sur la terrasse. Sa tasse était presque vide, elle aurait mieux fait de prendre un cappuccino.
“Elle s’obstine à rester dans le grand bain, dit la mère de Faye, l’air un peu désespérée.
— Pour ça, elle tient de sa mère. — Oui, merci, j’étais au courant !”
Ingrid rit et Faye fut frappée de constater, comme tant de fois au cours des deux dernières années, combien sa mère était belle. Malgré ce que la vie lui avait fait subir.
Les seules personnes à savoir Ingrid et Julienne en vie étaient Faye et Kerstin. Pour le reste du monde, elles étaient mortes toutes les deux. Julienne tuée par son père, un crime pour lequel Jack purgeait une peine de prison à perpétuité en Suède. Il avait failli détruire Faye. L’amour qu’elle éprouvait pour lui avait fait d’elle une victime. C’était pourtant lui qui s’était retrouvé le dindon de la farce.
Faye rejoignit sa mère et s’assit près d’elle dans un fauteuil en rotin. Ingrid ne quittait pas Julienne des yeux, sur le qui-vive. “Tu es obligée de repartir ? demanda-t-elle sans lâcher sa petite-fille du regard.
— Le lancement de la filiale aux États-Unis approche à
grands pas, et le travail ne manque pas pour préparer l’émission de nouvelles actions. Il y a aussi la négociation à Rome : si j’arrive à conclure un accord, cette société sera un important atout pour Revenge. Le propriétaire, Giovanni, veut vendre, il s’agit juste de le convaincre que mon offre est la meilleure. Mais comme tous les hommes, il se surestime grossièrement.”
Le regard de sa mère passa avec inquiétude entre Faye et Julienne.
“Je ne comprends pas pourquoi tu continues à travailler autant. Tu possèdes 10 % de Revenge, et avec tout ce que t’ont rapporté tes actions, tu n’as plus besoin de lever le petit doigt jusqu’à la fin de tes jours.”
Faye haussa les épaules, finit son expresso et posa la tasse sur la table en rotin.
“Bien sûr, une partie de moi aimerait bien rester ici avec vous. Mais tu me connais. Je mourrais d’ennui au bout d’une semaine. Et quel que soit le nombre de mes parts, Revenge est mon bébé. Je préside toujours le conseil d’administration. En plus, je me sens une énorme responsabilité à l’égard de toutes les femmes qui sont entrées dans le capital, ont investi et possèdent aujourd’hui des actions de Revenge. Elles ont pris un risque pour moi, pour l’entreprise, et je veux continuer à la diriger. Ces derniers temps, j’ai même songé à racheter des parts supplémentaires, si certaines souhaitaient vendre. Dans tous les cas, elles feraient une bonne affaire.
Sa mère se leva un peu quand Julienne fit demi-tour au bout de la piscine.
“Oui, oui, la sororité, tout ça, dit-elle. Je n’ai peut-être pas la même vision que toi de la loyauté entre femmes.
— Les temps ont changé, maman. Les femmes se serrent les coudes. En tout cas, Julienne est OK pour que je fasse un saut à Rome, on en a parlé hier.
— Tu sais que je te trouve très douée ? Tu sais que je suis fière de toi ?”
Faye prit la main d’Ingrid.
“Oui, je sais, maman. Prends soin de cette petite fripouille, qu’elle ne se noie pas, je serai bientôt de retour.”
Faye s’approcha du bord de la piscine, où Julienne haletait, alternant brasses et tasses.
“Salut, chérie, j’y vais !
— Sal...”
Julienne but la tasse en essayant de saluer de la main tout
en nageant. Du coin de l’œil, Faye vit Ingrid se précipiter vers la piscine.
Dans le séjour, ses bagages l’attendaient, et la limousine qui devait la conduire à Rome était sans doute déjà arrivée. Elle souleva sa belle valise Louis Vuitton pour que les roulettes ne rayent pas le parquet sombre et brillant et se dirigea vers la porte. En passant devant le bureau de Kerstin, elle la trouva penchée sur son ordinateur, ses lunettes comme toujours au bout du nez.
“Toc, toc, j’y vais...”
Kerstin ne leva pas le regard, elle avait une profonde ride d’inquiétude entre les yeux.
“Tout va bien ?”
Faye avança d’un pas dans la pièce et posa sa valise.
“Je ne sais pas..., fit lentement Kerstin, les yeux toujours
rivés sur son écran.
— Tu m’inquiètes, là. Un problème avec la nouvelle émis-
sion d’actions ? Ou c’est la filiale aux États-Unis ?” Kerstin secoua la tête.
“Je ne sais pas encore.
— Il faut que je m’inquiète ?”
Kerstin tarda à répondre.
“Non... pas encore.”
Une voiture klaxonna dehors, et Kerstin lui désigna la porte. “Allez, vas-y. Va régler l’affaire à Rome. On parlera plus tard. — Mais...
— Ce n’est sûrement rien.”